Olivier Abel

Présentation

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La philosophie nous permet de puiser dans les pensées passées des promesses encore vives et non tenues, et nous aide à nous délier de promesses et de formes de pensées devenues écrasantes.

Quant à l’éthique, elle oscille entre le registre du « je » qui tente de penser ce qu’il éprouve et de sentir ce qu’il fait, et celui du « nous », de l’engagement commun par lequel se font et se défont les communautés humaines.

Ce qui anime mes recherches (sur des sujets variables comme le pardon, le courage, la fidélité, le conflit, le divorce, la conversation, l’habiter, la justice, l’urbanité), c’est ainsi de chercher à ramener ces grands mots dans notre monde ordinaire. Et de mieux penser comment nous pouvons « différer ensemble ». Car telle est notre condition historique, politique et humaine d’être obligés de penser l’irrémédiable différend, et le décalage des générations.

C’est enfin une éthique qui travaille à la fois la question de la parole et la question de l’action, mais sur un fond de gratitude, de désœuvrement, d’émerveillement d’être ensemble ici. Pour cela elle avance tantôt du côté de la philosophie du langage ordinaire et de la parole interrogative, tantôt du côté de l’agir ordinaire, des habitudes et du style.
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Recherches actuelles

L’éthique interrogative.
Critique du sujet de l’alliance et de la déliaison

Ma proposition porte sur une philosophie politique et morale élargie par divers déplacements issus des sciences sociales, et sensibilisée par la multiplicité des motivations, obligations et embarras moraux qui traversent nos sociétés. Que retirer de cette pluralité? Un sens aigu de la discontinuité des problèmes, qui interdit à une problématique homogène de prétendre tout couvrir. Chaque morale d’ailleurs a sa forme d’immoralité, qui tend à dénier ses propres faiblesses. La pluralité des morales semble ainsi insurmontable, comme si les sociétés avaient besoin du débat entre plusieurs éthiques, de leur correction mutuelle.

C’est pourquoi il m’a paru important d’alterner les travaux autour du courage et du pardon, placés chacun en figures de proue de morales antagonistes, l’une exaltant la confrontation et l’essai de soi, et l’autre le dévouement et l’effacement de soi. Ma démarche, exposée dans L’éthique interrogative, consiste à déployer le sens du différend, quand on cherche à répondre à des questions hétérogènes par divers arrangements, et à développer le sens du décalage par lequel les réponses posent de nouveaux problèmes — le fait des générations apparaît ici au cœur du problème herméneutique. Ce qui complique la chose c’est l’impossibilité d’expliciter entièrement les orientations et règles véhiculées par nos discours et nos pratiques, et cela d’autant plus que la majeure partie de ces implicites moraux est déposée dans des dispositifs qui échappent aisément à la discussion.

L’idée directrice de ce projet est que l’émancipation, longtemps moteur de la critique sociale, ne suffit plus, car elle soulève à son tour des problèmes d’exclusion, de dissolution des liens, auxquels elle ne sait répondre, et dont on peut même dire qu’elle masque la perception. C’est pourquoi nous avons besoin de penser une équation descriptive et critique plus complexe, qui comprenne l’importance de l’attachement autant que celle de l’émancipation comme point d’appui de la critique. Le mot « attachement » dit bien ce qui importe ici, qu’on ne choisit pas tout, qu’on est lié. La question est donc de penser une civilité, une cité qui accepte de faire place aux attachements, aux proximités, mais dans le même temps une proximité qui fasse place à la civilité, à la distance, à la pluralité. On croise ici les travaux du GSPM, qui ont proposé d’importants outils de critique sociale, et fait apparaître de nouvelles configurations des problèmes moraux.

Pour déployer ce programme, je me suis arrêté à trois axes, dont le second, proprement central, propose une critique du sujet délié, entendu comme ayant rompu les liens ou pouvant toujours les rompre, qui le montre inséparable du sujet re-lié, tenant ses promesses parce que tenu par une alliance qu’il peut rompre, dans un pacte sans cesse à la fois reconnu et recommencé. C’est cette idée de librealliance, ici étudiée sur la question du « mariage » et du divorce, que je voudrais mettre à l’épreuve de la question démocratique et de son institution dans un monde où les attaches sont multiples et fragiles.

Auparavant, et pour entrer dans ce thème, le premier axe de recherche porte sur la « flibuste », pensée à travers Milton, le poète de la rupture puritaine et de la société océanique alors en train de surgir. Rapprochant la flibuste d’une exploration des prises possibles sur le monde, et des formes contemporaines de sociétés dissidentes, je voudrais donner au « prendre » une importance jusqu’ici réservée au « don », et élargir le cercle recevoir-donner par celui du prendre et du perdre.

Enfin, et c’est mon troisième axe, je propose de penser le « pardon », dans sa pragmatique la plus quotidienne, comme une perte et une déliaison qui permet une reliaison, une façon de revenir au monde ordinaire mais autrement, en mesurant son étrangeté, sa fugacité. Loin d’une conception sublime du pardon, on rejoint ainsi les travaux d’Austin et Cavell, mais aussi ceux déjà rencontrés dans La juste mémoire (dir S.Loriga et O.Abel), sur le temps et les politiques du passé. Pour ma part je me suis particulièrement intéressé aux usages publics du pardon comme de la repentance et du dissensus des mémoires, mais aussi aux thèmes du déclin, de l’éboulement, et du recommencement.

Sur tous ces sujets la philosophie elle-même, élargie et altérée par sa rencontre avec l’histoire, nous permet de puiser dans les pensées passées des promesses encore vives et non tenues, et nous aide à nous délier de promesses et de formes de pensées devenues écrasantes. Au travers de ces trois figures de la flibuste, de l’alliance, et du pardon, on cherchera la tension interne de l’émancipation et de l’attachement qui permet de « différer ensemble » ­— être ensemble en acceptant de différer, différer les uns des autres parce qu’on reste ensemble.

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