L’identité interrogative et la métaphore européenne

[1]

Notre thème expose (ou s’expose à) un double problème: un problème philosophique de type éidétique, et un problème historique lié à la situation de l’Europe. Si même on l’attaque sous un angle apparemment purement philosophique avec Husserl, cette double– entrée n’est–elle pas précisément la situation de la « Krisis », avec la conférence de Vienne en 1935 sur La crise de l’humanité européenne et la philosophie, et le gros ensemble de textes publié sous le nom de La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale? La question pourrait ici se formuler: comment Husserl a–t–il pu passer de la problématique de l’égo transcendantal à celle de l’humanité européenne ?

Par ce dernier geste philosophique, Husserl se retourne vers le monde historique pour le confronter[2]. Et de fait, en 1936, il s’agit de faire face au visage de l’Europe sous les traits du nazisme. Comment faire front? La question implique ou plutôt exige de comprendre cet effondrement de la raison, la perversion de l’idée même qui fit l’Europe. Ce problème a été posé par Paul Ricoeur dans un article intitulé « Husserl et le sens de l’histoire », paru en 1949 dans la Revue de Métaphysique et de Morale[3]:

« Si telle est l’humanité européenne, –signifiante par l’idée de philosophie,– la crise de l’Europe ne peut être qu’une détresse méthodologique, qui affecte le connaître, non dans ses réalisations partielles, mais dans son intention centrale: il n’y a pas de crise de la physique, des mathématiques, etc., mais une crise du projet même de savoir, de l’idée directrice qui fait la « scientificité » de la science. Cette crise c’est l’objectivisme, la réduction de la tâche infinie du savoir au savoir mathématico–physique qui en a été la réalisation la plus brillante. Nous reviendrons tout à l’heure sur la signification de cette crise quand nous suivrons le chemin inverse de la réflexion, le retour de l’histoire de la philosophie à la philosophie, et que la phénoménologie sera envisagée comme la catharsis de l’homme malade »[4].

La crise de la culture et de la civilisation européenne tiendrait ainsi au fait que son intention originaire est perdue, que l’idée qui l’animait est enfouie. Et il faudrait alors, avant que de critiquer la raison européenne devenue folle et produisant des monstres, tenter de revenir à son intention perdue ou pervertie; il faudrait la critiquer au nom même de cette intention, au nom même de cette idée qu’elle porte en elle[5]. Le projet de la phénoménologie quitte ici les rivages de l’égologie pour endosser l’épaisseur historique d’une véritable catharsis, d’une anamnèse: retrouver l’idée enfouie pour la raviver. Ici serait la tache infinie de la philosophie et sa responsabilité, que cette recherche d’une idée elle–même infinie.

On peut dire que c’est une tache d’intelligibilité, mais il faudrait alors entendre aussi par ce terme une enquête d’exigibilité, où la tache intellectuelle de réflexion est inséparable d’une tache éthique de situation. De quoi s’agit–il? Toujours d’après Ricoeur, cet horizon, cette limite, cette idée régulatrice et cette tache inachevée, c’est le saut du vouloir– vivre à l’étonnement, à l’interrogation[6]. C’est l’introduction du doute au coeur de la tradition qui constitue le télos de l’homme européen. Ce questionnement, Husserl lui donne un nom, c’est le transcendantalisme qu’il oppose à l’objectivisme. Ricoeur commente: « Le transcendantalisme est une philosophie en forme de question, c’est une Rückfrage »[7], c’est à dire une question–en–retour. Voici donc le problème philosophique posé: comment cette idée d’interrogation infinie et de question–en–retour permet–elle d’articuler l’enquête transcendantale et la responsabilité historique?

Revenons à partir d’une deuxième entrée, où l’angle d’attaque serait plutôt la situation actuelle de l’Europe et notamment des limites de l’Europe sur lesquelles nous nous tenons ici: j’ai enseigné quelques années la philosophie au lycée Galatasaray d’Istanbul, avec le sentiment trés aigü, mais aussi la volonté, de me tenir sur cette limite. Et je vois ici encore un double problème, dont les deux faces font d’ailleurs une sorte de cercle problématologique, une sorte de « double bind ».

D’une part on peut parler d’une crise d’identité. L’Europe est saisie par une obsession identitaire, que l’on voit à l’oeuvre bien sûr dans la crise balkanique, mais que l’on voit aussi dans les banlieues de nos métropoles avec (et en face de) l’Islam. Cette question identitaire déborde largement le surgissement des extrêmes–droites nationalistes dans nos différents pays, et tient sans doute tant au sentiment que la cohésion sociale de nos pays est défaite par la guerre économique, qu’au stade avancé de planétarisation des échanges et des communications où nous en sommes arrivés. La pluralité des identités fait problème.

D’autre part on peut parler d’une crise de développement. Le développement industriel et technique, porté par l’expansion des marchés, est peut–être la figure historique de cet objectivisme dont parle Husserl, la perversion de l’idéal européen. Comme si l’infini n’était plus que l’infini de la croissance, ce développement du marché et des structures techniques qui obligeait tout le monde à être commensurable, à se ressembler et à rentrer dans le même et unique schéma de développement! La limite de ce développement fait problème.

Il y a plusieurs corrélations entre cette tendance à la « balkanisation » et cette course à la « croissance ». Jadis nos identités se définissaient par notre appartenance à des sphères d’échanges précises (échanges matrimoniaux, économiques, linguistiques ou même militaires, etc). Aujourd’hui l’échange étant devenu universel, nous ne pouvons plus nous identifier par lui, et la seule chose qui nous reste c’est l’identification par ce qui reste d’inéchangeable: l’identité génétique, l’appartenance à une tradition religieuse, à une communauté nationale entendue dans un sens ethnique, etc. Mais comme cette réidentification « dure » fait peur, une grande part de nos sociétés ne voit d’échappatoire que dans le développement irréversible d’un marché planétaire censé être seul capable de briser les forteresses identitaires.

Pour tenter de saisir ce cercle philosophiquement, mon hypothèse ici c’est qu’un certain idéal de l’interrogation (parce que celle–ci est l’acte moteur de la connaissance scientifique) fut au principe de la croissance et du développement technique, comme une sorte de limite constitutive. Et en même temps que cet idéal d’interrogation (parce que l’identification fut sans cesse suspendue et relancée par un « qui suis–je? qui sommes–nous? qui dites–vous que je suis? ») a joué un très grand rôle dans la configuration d’identités pluralistes. Si nous sommes en crise sur le double–plan de la croissance et de l’identité, c’est peut–être que nous sommes en crise dans la racine même de notre capacité à interroger. La « Rückfrage », la question–en–retour, la réduction phénoménologique peut alors apparaître comme cette reproblématisation, ce retour sur notre capacité à interroger.

L’identité interrogative

Notre enqête de départ sera plus proprement phénoménologique, et portera sur l’identité interrogative. Qu’est–ce que c’est qu’interroger, et que devient le même, dans l’interrogation? Nous nous rapporterons principalement à deux ouvrages: celui de Jan Patocka sur Platon et l’Europe, et celui de Paul Ricoeur sur Soi même comme un autre.

1. Jan Patocka, l’âme et l’interrogation

Ce n’est pas un hasard si Patocka commence son enquête par un constat voisin des travaux du club de Rome sur la crise planétaire du développement. C’est l’idée qu’il y a eu accumulation d’une énorme puissance technologique (mais aussi démographique) dont plus personne ne veut ni ne peut aujourd’hui être le sujet, entendons le sujet responsable[8]. En effet,

celle qui en fut l’initiatrice et le sujet, l’Europe, la maîtresse au départ de cette accumulation, a été détruite par les forces même qu’elle a déclenchées. Il faut souligner cette idée qu’elle a été détruite; c’est fait, c’est fini. Ici aussi nous avons donc une enquête mixte, une enquête de type transcendantal et une enquête de type historico–éthique, à l’occasion de l’Europe.

L’idée de Patocka relecteur de Husserl, c’est là encore de retrouver l’intention ou le projet de vie de l’Europe, pour en critiquer l’actualité. Et sa thèse c’est que le thème central autour duquel se cristallise le projet de vie de l’Europe porte sur « le souci de l’âme« [9]. Or ce souci de l’âme a été oublié, et s’est transformé en souci de domination[10]. La démarche de Patocka consiste à faire le détour par la relecture du paragraphe 31 des Ideen 1, où Husserl expose l’idée de réduction phénoménologique. Et il interprète la réduction phénoménologique comme une problématisation:

« Ce dont je parle maintenant n’est plus une thèse mais un problème. Lorsque nous demandons comment il se fait qu’une seule et même chose puisse se montrer dans différentes perspectives c’est là un problème. De même, lorsque nous demandons comment se maintient l’identité de la chose en tant que présente et en tant que non–présente ou donnée de compagnie, donnée par l’entremise d’autre chose, sur un mode indirect de donation. Voilà le problème: en différents modes de présentation, en différentes guises de présence, le même se maintient »[11].

La problématicité du monde réside ainsi déjà dans le fait que le tout ne se montre que sous des profils singuliers[12].

On peut dire que cette situation problématique par rapport au monde est une malédiction, une fragilité tragique, au sens où le sujet humain est toujours excentrépar rapport au monde[13], déchiré entre plusieurs « vues ». Patocka observe d’ailleurs que cette condition rend le mythe irréductible[14]. En effet le mythe se trouve dans la présence du monde, alors qu’interroger c’est se tourner vers l’absent, se tourner vers ce qui n’est pas là. Avec les mythes, les réponses précèdent toujours déjà les questions[15]. Ce que Platon introduit de façon tout à fait unique, en osant inventer des mythes, c’est une sorte de jeu entre mythe et réflexion, entre tradition et critique[16]. Je retiendrai donc qu’il y a pour la philosophie naissante un jeu entre la réponse et l’interrogation, une sorte d’oscillation extrême, d’irrésolution qui fait que le même propos est en même temps réponse et interrogation. Reste une différence fondamentale entre le mythe et la philosophie:

« Le mythe en général est dépourvu de problématicité car tout en lui est donné, achevé, tout a reçu une réponse; dans le mythe les réponses précèdent les questions.

C’est dans la grande transformation qu’est la naissance de la philosophie, qui modifie du tout au tout la situation de notre existence, qu’émerge soudain la problématicité en tant que telle, notre propre problématicité, la problématicité du monde, l’absence de chemin, la question et la quête d’une réponse, quête qui s’adresse à nous–mêmes car, hormis nous et notre compréhension de ce qui se montre, il n’y a rien ni personne à qui nous puissions faire appel »[17].

La philosophie ainsi transforme l’excentricité de l’homme, elle fait d’une détresse et d’une malédiction un projet de vie.

Quel rapport peut–on penser entre cette problématicité, cette excentricité, et le thème de l’identité, du « même »? Remarquons d’abord que si l’Europe est orientée, c’est à dire aussi caractérisée ou définie, par ce souci de l’âme, c’est dans la mesure où en elle des penseurs se sont levés pour regarder en face le tragique, la vérité, la problématicité du monde[18]. Le drame historique et philosophique de Patocka fut de voir ou de désirer l’Europe comme une société où des Socrate pourraient vivre[19]. Qu’est–ce que Socrate? C’est quelqu’un qui invite les autres à défendre la justice quand même, même s’il n’y a pas de règles de justice; qui les invite à être responsable quand même, même si devant la question on n’a pas la réponse[20]. Et comment? Justement par la dialectique même des réponses et des questions, par le dialogue qui donne à l’âme une forme[21]; le souci de l’âme se développe ainsi à travers un « penser questionnant » et consiste à se « laisser problématiser »[22].

Sous l’exigence de ne pas se contredire en effet la dialectique forme la cohérence de l’âme, c’est à dire son identité, par sa problématisation même. Il s’agit de se tenir avec cohérence devant le questionnement, en acceptant l’ouverture du questionnement:

« Cette disposition à se laisser interroger implique la certitude qu’il n’y a ni fin ni fermeture car, d’une part, il ne s’agit uniquement que de la chose en question et, de l’autre, notre expérience nous montre que même ce qui nous semble à première vue évident peut faire l’objet d’un questionnement et d’une mise en question qui pour nous devient finalement une exigence. Seul un discours absolument clair, non–contradictoire, cohérent, concernant tout ce sur quoi la pensée peut être dirigée d’une manière sensée, seul un tel discours absolument cohérent répondrait à et signifierait l’existence et la formation d’une âme intérieurement une qui, parce que ses pensées sont contraignantes, n’est pas déchirée en une foule d’apories et d’opinions incompatibles. Comme cependant nous n’en avons pas l’assurance préalable et que nous ne pouvons nous en assurer que dans le cadre d’un examen, cet examen mêmecrée une unité spécifique, une attitude d’examen continuel et de recherche, de quête examinante. Cette attitude du chercheur examinant est, en un sens, en sûreté contre la contradiction et ses conséquences pour l’âme. C’est une sorte d’épochè »[23].

Autrement dit, et pour rapporter cela à notre thème, si l’Europe peut être identifiée par le souci de l’âme, cela signifie que l’identité de l’Europe au sens phénoménologique consiste elle–même dans ce désir de cohérence, et donc dans cette interrogation sur l’identité même.

2. Paul Ricœur, le soi comme interrogation

Dans Soi–même comme un Autre Ricoeur replace l’identité narrative, le sujet qui raconte et se raconte, entre l’identité descriptive et l’identité éthique, entre l’identité analytique du sujet qui parle et qui agit, et l’identité pratique du sujet qui prescrit et s’estime responsable. A vrai dire, la structure de la démonstration reprend probablement ici le travail de la « mimésis », dont Ricoeur parle au début de Temps et Récit, et où le texte, par sa configuration narrative, sert de transformateur entre le monde préfiguré par lui et le monde qu’il ouvre et refigure. On peut donc désigner, en amont et en aval de l’identité narrative, une identité préfigurée et une identité refigurée. Dans Soi–même comme un Autre, il me semble que l’intention de cette remise en perspective est de relancer, au delà de l’identité narrative, l’interrogation sur le soi.

L’idée de Temps et Récit c’est que l’identité doit être cherchée dans une narration mais que cette narration est un programme de transformation. Il y a intrigue parce qu’il y a rivalité entre plusieurs programmes narratifs, entre plusieurs manières de rapporter sa vie, dans un enchevêtrement infini. Au fond c’est le temps qui problématise l’identité, mais l’identitification narrative peut riposter au temps par deux réponses, sous deux formes d’identités: il y aurait une identité même qu’elle–même, une identité idem, et puis il y aurait une identité variable, une identité qui ne serait pas même qu’elle– même, une identité ipse.

Nous retiendrons des différences entre mêmeté et ipséité que cette dernière suppose la problématisation de l’identité. L’identité narrative est problématique parce qu’elle se construit par mise en intrigue, et que l’intrigue est une des figures les plus voisines de l’idée de problématique. On a d’ailleurs le sentiment que pour Ricoeur la narration n’est vive que si elle ne prétend pas recouvrir la question « qui? », y répondre sans reste. Comme il l’écrit:

« Dire l’identité d’un individu ou d’une communauté, c’est répondre à la question: quia fait telle action? qui en est l’agent, l’auteur? Il est d’abord répondu à cette question en nommant quelqu’un, c’est à dire en le désignant par un nom propre. Mais quel est le support de la permanence du nom propre? Qu’est–ce qui justifie qu’on tienne le sujet de l’action, ainsi désigné par son nom, pour le même tout au long d’une vie qui s’étire de la naissance à la mort? La réponse ne peut être que narrative. Répondre à la question « qui? », comme l’avait fortement dit Hannah Arendt, c’est raconter l’histoire d’une vie. L’histoire racontée dit le qui de l’action. L’identité du qui n’est donc elle–même qu’une identité narrative. »

« D’abord l’identité narrative n’est pas une identité stable et sans faille. De même qu’il est possible de composer plusieurs intrigues au sujet des mêmes incidents (lesquels du même coup ne mérite plus d’être appelés les mêmes événements), de même il est toujours possible de tramer sur sa propre vie des intrigues différentes, voire opposées (…) En ce sens l’identité narrative ne cesse de se faire et de se défaire, et la question de confiance que Jésus posait à ses disciples –qui dites vous que je suis?–, chacun peut se la poser au sujet de lui même, avec la même perplexité que les disciples interrogés par Jésus. L’identité narrative devient ainsi le titre d’un problème, au moins autant que celui d’une solution. Une recherche systématique sur l’autobiographie et l’autoportrait vérifierait sans doute cette instabilité principielle de l’identité narrative »[24].

Le philosophe britannique Derek Parfit proposait l’idée que « identity is not what matters« . Et Ricoeur accorde volontiers qu’il faut moins s’attacher à l’identité personnelle, aux frontières entre les vies, et partager davantage les expériences humaines. Mais, objecte–t–il, il ne faut pas vider l’enfant (la question « qui? ») avec l’eau du bain (les réponses proposées à cette question):

« car autant je suis prêt à admettre que les variations imaginatives sur l’identité personnelle conduisent à une crise de l’ipséité elle–même, autant je ne vois pas comment la question qui? peut disparaître dans les cas extrêmes où elle reste sans réponse »[25].

Et il y revient dans le chapitre suivant:

« il se pourrait en effet que les transformations les plus dramatiques de l’identité personnelle dussent traverser l’épreuve de ce néant d’identité, lequel néant serait l’équivalent de la case vide dans les transformations chers à Lévi–Strauss. Maints récits de conversions portent témoignage sur de telles nuits de l’identité personnelle. En ces moments de dépouillement extrême, la réponse nulle à la question qui suis–je? renvoie non point à la nullité, mais à la nudité de la question elle– même »[26].

Dans Soi même comme un autre on peut dire que le tuilage des études (sémantique référentielle, pragmatique, sémiotique actantielle, identité narrative, visée éthique, règle morale, sagesse pratique, etc.) correspond à autant de réponses à la question qui, de variations sur le sujet. Et de même qu’il y a diverses manières narratives de s’interpréter et de se raconter, et différents regards ou profils sur la même personne, la responsabilité éthique n’apparait justement que placée devant des exigences différentes, et dont il n’est pas sûr qu’elles puissent toutes être coordonnées. Ainsi la cohérence du sujet, ce qu’on peut appeler son identité éthique, ne prend–elle son sens que par sa propre problématisation.

On pourrait dire, en guise de récapitulation, que dans cette enquête sur l’identité interrogative, tout se passe comme si après un premier mouvement de l’enquête phénoménologique, où la réduction visait à établir des invariants par variation éidétique, l’enquête ne trouvait d’invariant que l’interrogation même sur les invariants eidétiques. Se retournant alors, à partir de cette problématicité, de cette aporétique, l’enquête s’effectue alors à travers, et par, les variations imaginatives elles–mêmes, sans chercher derrière elles, par quelque élimination, quelque chose qui resterait identique. On trouve par exemple ce mouvement dans Temps et récit avec le jeu entre la partie qui s’intitule « aporétique de la temporalité » et la partie qui s’appelle « poétique du récit ». D’où des variations sur une question elle–même en perpétuelle transformation, et la tentative de régler une pluralité de réponses à la question quimais dont aucune ne la recouvre complètement.

J’irai même jusqu’à parler d’un principe d’identité absente. Ce serait au terme de cette enquête phénoménologique quelque chose comme le principe d’une ontologie de part en part poétique, ou peut–être d’une ontologie éthique, au sens d’un désir d’être. C’est sous cette idée que l’on comprendra le passage que je propose maintenant d’une identité interrogative à une identité métaphorique, d’une identité interrogeante qui porte sur l’invariant éidétique à une identité qui se cherche par métaphorisation à travers les variations elles–mêmes.

La métaphore européenne

Si nous cherchons l' »idée » ou l' »identité » de l’Europe, nous ne trouvons que l’interrogation même sur cette identité, une interrogation plus vaste, plus radicale, ou plus singulière que toutes les réponses qui lui sont apportées. S’il y a métaphore, ou variation imaginative, ici, c’est que l’Europe, cette communauté culturelle, politique et fiduciaire, ayant passé commun et commun avenir, détruite par le même désastre et fondée sur la même reconstruction, etc., cette Europe n’existe pas. Et que dans le même temps elle existe bel et bien, et doit assumer la cohérence et les capacités, la responsabilité due à son existence. Dans cette seconde partie de la réflexion, nous voudrions d’abord expliciter un peu le passage entre l’identité interrogative et l’identité métaphorique, avant de pointer quelques implications de ce passage pour l’idée d’Europe aujourd’hui.

1. L’identité métaphorique et la problématisation

Parlant d’identité métaphorique je me réfèrerai ici à La métaphore vive de Ricoeur. Dans cet ouvrage–pivot de son oeuvre, il montre que ce qui fait la vivacité d’une métaphore c’est le double mouvement par lequel un énoncé poétique suspend d’abord le sens ordinaire des mots, la référence descriptive première, mais pour ouvrir bientôt un espace de sens, un espace de référence seconds. On a un peu affaire, avec la métaphore, à cette « micro– phénoménologie » dont Gaston Bachelard parlait dans sa Poétique de la rêverie, où chaque image poétique, lue et reçue par le lecteur, est une sorte de micro–procédé de suspension du monde et d’ouverture du monde; en effet elle a la capacité de suspendre toute la sédimentation sémantique, descriptive et explicative qui fait nos savoirs et nos préjugés, pour nous abandonner à la naïveté, à la naissance d’un monde inédit. De cette image, le lecteur reçoit ainsi une sorte d’identité naïve, une identité de rêverie, parfaitement insouciante de son identité antérieure: ce que Bachelard appelle un « cogito poétique », et qui est proche du « sujet poétique » de Ricoeur[27].

Notons cependant qu’avec ce dernier le sens métaphorique ne réside pas dans la simple substitution d’un sens à un autre, dans l’effacement total du premier, et tient plutôt à la tension et à l’écart entre la neutralisation d’un sens premier et la reprise d’autant plus forte d’un sens second, qui n’abolit pas le premier mais qui au contraire le relève et le ravive. Et ce double mouvement n’est possible que parce que la métaphore n’est pas une dénomination déviante mais une prédication impertinente; c’est à dire non pas simplement une substitution de mots, mais la mise en tensionpar un énoncé, et le choc, entre des aires sémantiques hétérogènes. Dans l’énoncé métaphorique la prédication est impertinente en ce qu’elle met en tension des prédicats incompossibles avec les sujets.

Cette notion d’incompossibilité fait bien sûr penser à Leibniz, mais évoque aussi Hintikka, dont on connait la réinterprétation de certains problèmes logiques, et notamment de certaines apories laissées par Wittgenstein, en termes de question et de réponse. Je voudrais montrer que l’on peut lire en effet cette théorie de la métaphore vive en termes de question et de réponse. La vivacité d’une métaphore en ce sens c’est la condensation en une seule proposition de monde, qui « propose » ainsi leur compossibilité, de plusieurs propositions de mondes possibles entre lesquels il y a choc et tension; tout au moins on ne sait pas a priori s’ils sont ou non compatibles dans le même monde. Le monde désigné par la métaphore est ainsi un monde plus riche en compossibilités, mais aussi un monde plus problématique, que le monde ordinaire des propositions simples.

On peut d’ailleurs montrer, dans la métaphore, une problématisation des identités sémantiques et une problématisation des références. En effet si pour Hintikka la référence se construit par le questionnement qui réidentifie le même référent dans des contextes différents (c’est le même x qui…, et qui …, et qui…), pour Ricoeur la métaphore est un autre procédé, non pas rival mais en quelque sorte « limite », pour réparer la perte de singularité qu’opère toute identification, toute attribution de prédicat, et finalement tout discours par rapport à l’expérience[28]. Comment? Précisément par le fait que plusieurs contextes différents sont par la métaphore télescopés et condensés dans le même énoncé. La question reste en suspens de savoir si les deux mondes sont ou non compossibles, s’ils sont ou non le même. Et le sémantisme attaché au terme est ainsi troublé. C’est tout cela qui permet de désigner une singularité, une réalité mal balisée par le langage ordinaire.

Une autre polarité importante est celle que propose Ricoeur entre la sédimentationdes significations déjà déposées dans l’usage, et l’invention, écart ou innovation, de significations inédites. Mais ici encore, on peut trouver quelque chose comme le travail de l’interrogation, justement désigné par Husserl dans le paragraphe 15 de La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale:

« Une telle façon de questionner–en–retour sur la manière dont des buts toujours–vivants entraînent avec eux sans cesse à nouveau de nouvelles tentatives pour les atteindre, et sans cesse à nouveau également redonnent une nouvelle forme, plus ou moins radicale, à la nécessité de les clarifier et de les corriger qui naît de l’insatisfaction, tout cela, dis–je, n’est rien d’autre que l’automéditation authentique du philosophe, faisant retour sur ce vers quoi proprement s’élance sa volonté, sur ce qui est en lui volonté à partir du vouloir et en tant que volonté de ses ancêtres, c’est à dire de ses pères–en–esprit. Tout cela signifie que la conceptualité sédimentée, qui est en tant qu’évidence bien–connue le sol de son travail privé et non–historique, il faut de nouveau la rendre vivante dans son sens historique caché »[29].

On voit ainsi apparaître dès Husserl, autour du thème de la question–en–retour, toute cette dialectique de la sédimentation et de l’innovation qui fait le propos de Ricoeur à la charnière de l’herméneutique et de la poétique.

Dans La métaphore vive Ricoeur parle du « travail de la ressemblance » à travers le dissemblable, et l’on pourrait ajouter le travail de la vraisemblance à travers l’invraisemblable. Et il rappelle cette formule citée par Jakobson « aixo era y no era » (c’était ainsi et ce n’était pas ainsi), formule qui terminait les contes de Majorque. Cela me fait penser à la formule turque « bir varmis bir yokmus », qui dit très bien ce double mouvement, cette tension entre: 1) la véhémence ontologique du « bir varmis », il y avait une fois, il était une fois, qui dit que « cela est » avec ce que Ricoeur appelle la véhémence d’une sorte d’appartenance ou de fusion herméneutique au sens de Gadamer, et 2) la distanciation critique du « bir yokmus », qui dit que cela n’était pas, et qui neutralise la réalité désignée par le récit, mais permet d’ouvrir le champ du possible[30]. Il me semble que l’on a ici un mouvement très proche de celui qu’on avait trouvé chez Patocka avec l’idée que Platon se situe dans une sorte de jeu incertain entre le mythe et la réflexion, qui correspondrait à cette tension entre la croyance du « bir varmis », et la conscience de fiction du « bir yokmus ».

2. Les implications éthiques de cette identité métaphorique

Revenons à notre première question: comment l’interrogation articule–t–elle l’enquête transcendantale placée sous le signe de Husserl et la responsabilité historique, qui est notre problème commun? On repartira utilement de cette idée de Husserl que la question–en–retour réside dans cette capacité à raviver ce qui était sédimenté. Ricoeur commente:

« Dès que nous commençons à penser nous découvrons que nous vivons déjà dans et par le moyen de mondes de représentations, d’idéalités, de normes. En ce sens nous nous mouvons dans deux mondes: le monde prédonné, qui est la limite et le sol de l’autre, et un monde de symboles et de règles, dans la grille duquel le monde a déjà été interprété quand nous commençons à penser »[31].

Le monde–de–la–vie (Lebenswelt) est donc toujours déjà là, avant toute interprétation mais aussi toujours déjà donné dans un monde de langage. Et cette ambigüité insurmontable soulève deux requêtes.

La première est d’accepter que l’on ne puisse pas thématiser tout ce qu’il y a de « pré–compréhension », en arrière de nos usages des mots et des choses, tout ce qu’il y a de métaphores sédimentées, de métaphores déposées, toute cette épaisseur de préfigurations, de schématismes laissée par l’histoire et la préhistoire de nos signes et de nos images. Tout cela, nous ne pouvons pas entièrement l’expliciter, et c’est probablement ici le lieu de la résistance de Ricoeur à Habermas: il y a des expériences, des questions ou des convictions, qui ne sont pas entièrement explicitables ou argumentables.

En ce sens le questionnement–en–retour est une tache infinie, parce que nous cherchons l’universalité du monde, mais que nous n’avons d’autre accès à cet universel qu’à travers ces réseaux symboliques des mondes de préfiguration ou de précompréhension. Nos universaux sont toujours encore enracinés dans des langages, des histoires, des métaphores. L’implication éthique est ainsi, par exemple, que les Droits de l’Homme, les idées de « laïcité » ou de « démocratie parlementaire ou communicationnelle », en tant que ce sont des idées qui ont une prétention à l’universabilité, n’ont d’autre légitimité que de problématiser sans fin ce qu’elles portent en elles de métaphores endormies, non pour les éliminer, mais pour les exprimer.

Répondant à la seconde requête, la métaphorisation qui ravive le sédimenté ne se contente pas de s’adapter on pourrait dire rhétoriquement aux présuppositions communes, aux métaphores admises. Loin de s’enfermer dans le langage de la tradition, dans les figures de précompréhension déjà déposées, la métaphore vive cherche à les bouleverser, à les remanier, elle suspend, elle réoriente, elle refigure le monde, elle redistribue les rôles, elle essaie de proposer un monde nouveau où habiter et où agir, un monde où l’habiter et l’agir soient possibles. Animée par la question–en– retour qui problématise toute identité, elle prend appui sur l’absence du monde pour ébranler celui–ci.

Le premier mouvement était plutôt celui de la critique herméneutique, avec cette implication éthique que nos identités restent métaphoriques. Le second est maintenant plutôt celui d’une réorientation poétique de l’identité:

« La conversion de l’imaginaire, voilà la visée centrale de la poétique. Par elle, la poétique fait bouger l’univers sédimenté des idées admises, prémisses de l’argumentation rhétorique. Cette même percée de l’imaginaire ébranle en même temps l’ordre de la persuasion, dès lors qu’il s’agit moins de trancher une controverse que d’engendrer une conviction nouvelle »[32].

Et c’est ce qu’on retrouve tout au long de Temps et récit avec l’idée que le lecteur change de monde par la confrontation des mondes possibles ouverts par le texte: la « configuration » narrative transformant les structures de « préfiguration », et autorisant une « refiguration » du monde du lecteur.

3. L’identité européenne

L’identité métaphorique est une identité problématisée, et plus précisément la métaphorisation est une problématisation. En revenant sur l’identité européenne, que nous avions déjà considérée avec Patocka comme une identité interrogative, nous voudrions montrer cette corrélation de l’interrogation avec la capacité de métaphorisation. On revient ici aux questions proprement historiques et éthiques qui se posent à l’Europe, à l’occasion de la crise qu’elle traverse. Crise de son intention, de sa volonté, que l’on peut déplier entre une crise du développement technique, crise de puissance ou de croissance, et une crise d’identité marquée par le conflit entre l’insistance Romantique sur les traditions et l’appel des Lumières à une liberté critique sans entrave.

S’il y a crise de la croissance et du développement, il faut d’abord observer avec Patocka que ce qui s’est développé c’est la puissance de destruction. Pour Wittgenstein aussi d’ailleurs, qui a vécu la première guerre mondiale au premier rang, il y a une expérience de la guerre qui bouleverse et réoriente la pensée. C’est que, nous l’avions noté avec Patocka, dans cette grande guerre dont on hésite à dire qu’elle s’est terminée en 1945, tant il semble incertain qu’elle soit tout à fait finie, l’Europe s’est déjà détruite. C’est fait, et elle a d’ailleurs failli emporter le monde dans le néant; jamais probablement le monde ne lui pardonnera de l’avoir en quelque sorte menacé à ce point.

Et cette guerre a structuré un espace où les puissances mêmes de destruction nous obligent à revenir, à nous retourner, à nous interroger; à nous retourner sur ce que nous avons fait et sur ce que nous sommes. La découverte, le découvrement qui est presque un dénudement, c’est que parce que justement nous sommes dans un monde de la guerre, sans issue assignable, nous sommes condamnés à un dialoguesans fin. Nous sommes condamnés à remettre au centre le questionnement, et nous sommes condamnés à la communauté, à la solidarité fragile que le questionnement organise. C’est ce que Patocka appelait la « communauté des ébranlés ».

Mais n’est–ce pas le secret perdu de l’Europe que d’avoir mis au centre le questionnement? N’est–ce pas la mystique discrète de l’Europe, sans laquelle on ne comprend pas l’éveil de l’esprit critique, la subjectivisation des croyances religieuses, la formation de l’esprit scientifique et de l’idéal démocratique, etc? Et n’est–ce pas cette mystique que les islamistes par exemple ne perçoivent pas, mais que les européens eux–mêmes ont oublié tant elle leur est cachée par la puissance des réponses apportées pour combler le vide laissé par cette interrogation? Et par le désir de cette puissance, et de la soumission à cette puissance, plutôt que de se soumettre à la seule interrogation?

Le premier geste à exercer, face à cette puissance de destruction que l’Europe a développée, et qui lui a échappée, c’est de remettre au centre de la communauté un principe d’interrogation infini, qui est le pouvoir partagé de questionner. C’est cette spiritualité qui fait de l’Europe un espace de totale désorientation. Mais cela suppose le courage de mettre une infinie interrogation au centre, et de cesser de placer l’infini dans la croissance des moyens et des échanges. C’est cela qui pourrait aussi peut–être rendre à l’Europe son âme, ce que nous définissions plus haut comme sa capacité à être responsable.

Terminons par l’autre versant de la crise. On peut d’abord noter que le discours identitaire fonctionne par un principe d’identité idem, une identité supposée éternelle et inaltérable, une identité indivisible et exclusive, qui ne changerait pas. La « carte d’identité » qui lui conviendrait serait mononationale, monolinguistique, éventuellement monoreligieuse. A cette identité correspondrait peut–être un autre âge de l’Europe: l’age de frontières nationales et linéaires où toutes les discontinuités, religieuses, linguistiques, historiques, ethniques, stratégiques, politiques, coïncideraient. La frontière y serait totale entre A et non A. La définition de l’Europe, selon ce principe, supposerait le choix d’un critère unique de discrimination, sous lesquels tous les autres viendraient se subordonner sinon s’effacer. L’Europe serait définie par l’ancrage dans la latinité, ou par l’influence des Lumières, ou par la réussite de l’intégration économique, ou par le consentement à la solidarité sociale, etc. Les autres différences seraient destinées à s’estomper.

Vis à vis d’une telle recherche identitaire, probablement porteuse de conflits insolubles, une idée de l’Europe plus interrogative engendrerait une identité plus métaphorique. Celle–ci peut d’abord nous montrer ce qui nous sépare de nos prétentions à l’universalité, et que l’Europe est issue de mille sources dont elle porte en elle le paysage, sans pouvoir s’en émanciper complètement ni le réduire à une seule histoire, à un seul discours. Celle–ci peut ensuite nous montrer que nous sommes libres de puiser dans ces réserves de traditions, non seulement pour les raviver, mais pour tenter de nouvelles configurations, jusqu’ici inédites dans l’histoire européenne, et que nous ne sommes pas condamnés à répéter indéfiniment le passé, à n’en conserver que les cicatrices.

Et puis ce principe d’identité métaphorique autoriserait une identité différentielle, c’est à dire une identité qui ne serait que l’intégrale ou justement la différentielle des variations même de définition de l’Europe. Il se trouve en effet plusieurs configurations de cette identité, et d’abord plusieurs configurations spatiales de l’Europe elle–même. Car où s’arrête l’Europe? Quelles sont ses limites géographiques? La problématicité de l’Europe correspond ainsi à cette pluralité de profils dont parlait Patocka après Husserl.

Il vaudrait alors mieux, plutôt que de chercher une frontière simple et linéaire, chercher à établir sa géographie par surimpression, en quelque sorte, d’une multiplicité de territoires. Selon cette surimpression, tantôt la Turquie, mais aussi l’Angleterre, l’Espagne, la Loire ou le Rhin, appartiendraient et n’appartiendraient pas à l’Europe. Cette surface métaphorique, où l’Europe serait et ne serait pas, selon le type et l’échelle de territoire considérée, correspondrait à l’identité problématique et métaphorique que nous cherchions: « bir varmis, bir yokmus ».

L’identité européenne serait alors tracée et dessinée par un réseau d’écarts et de figures formant une sorte d’espace feuilleté, une sorte d’espace à géométrie variable. Il faudrait en ce sens penser, non plus sous le schème ancien de l’Empire ni sous le schème moderne de l’Etat–nation, mais sous celui d’une sorte de pluralisme cohérent, l’institution politique, juridique, économique, de cette géométrie variable. Une forme d’institution capable de rendre raison de cette structure d’identité différentielle. Comment penser une institution pluraliste, une institution à la hauteur de cette identité métaphorique, une institution où il n’y aurait pas de centre unique, où nous serions tous sur la marge? Et comment penser une communauté qui ne porterait en son centre que la seule interrogation, cette excentricité originaire dont parlait si bien Patocka? Telle est bien la question. Les philosophes ne peuvent l’abandonner.

Olivier Abel

Publié sous le titre « Sorgulayici Kimlik ve Avrupa Metaforu » (« L’identité interrogative et la métaphore européenne ») in Avrupa’nin Krizi, sld Önay Sözer et Ali Turhan, (Colloque de la Société Turque de Philosophie), Istanbul : Dost : 2007, p.116-134.

Notes :

[1] Ce texte est issu d’un exposé donné au Colloque de la Société Turque de Philosophie, avec les Universités de Marmara et d’Istanbul, le 29/4/94.

[2] Le paradoxe, peut–être faut–il le signaler en passant, c’est que la philosophie analytique anglo–saxonne triomphe aujourd’hui particulièrement dans des contextes de crises politiques majeures. Comme s’il y avait une fuite du monde, des conflits et de la confrontation, dans ce succès de la philosophie analytique la plus abstraite et la plus technique. C’est l’honneur de Husserl que d’avoir suivi un cheminement inverse.

[3] On peut d’ailleurs estimer que cette question est restée centrale chez Ricoeur puisque son « herméneutique critique » apparaît bien, elle–même, au point d’inflexion entre une réflexion de type transcendantal sur l’expérience de la volonté et de la temporalité, et la question de l’agir, du sujet prati que, du sujet en tant qu’il s’interprète dans une langue, une histoire ou des oeuvres.

[4] Paul Ricoeur, « Husserl et le sens de l’histoire » in A l’école de la phénoménologie, Paris: Vrin 1986, (désormais cité ici EP) p.33.

[5] C’est un peu la même démarche que l’on retrouve chez Charles Taylor, dans Le malaise de la modernité, Paris: Cerf, 1994.

[6] Ricoeur, EP, p.32.

[7] EP, p.48.

[8] Jan Patocka, Platon et l’Europe, Lagrasse: Verdier, 1983 (désormais cité ici PE), p.14.

[9] PE p.23, par exemple.

[10] PE, p.79 et 99.

[11] PE, p.37.

[12] PE, p.83.

[13] PE, p.43.

[14] « Le mythe n’est pas quelque chose dont l’homme puisse se dégager radicalement, comme si de rien n’était (…) nous vivons toujours dans le mythe pour la simple raison que nous vivons dans le monde naturel, dans un monde qui apparaît. Et le monde en tant qu’apparaissant, se manifestant, est naturellement le monde en totalité » (PE p.52).

[15] EP, p.61.

[16] PE, p.98.

[17] PE, p.144–145.

[18] EP, p.43.

[19] EP, p.59.

[20] EP, p.95.

[21] EP, p.96. Voir également p.105 cette idée que l’on se forme par le dialogue.

[22] EP, p.101.

[23] EP, p.102.

[24] Ricoeur Temps et récit III, Le temps raconté Paris: Seuil, 1985, p.355  et p.358.

[25] Paul Ricoeur, Soi–même comme un Autre, Paris: Seuil, 1990 (désormais cité ici SA), p.164.

[26] SA, p.197.

[27] P.Ricoeur, La métaphore vive, Paris: Seuil, 1975 (désormais cité ici MV), p.272.

[28] « C’est parce que nous pensons et parlons par concepts que le langage doit en quelque manière réparer la perte que consomme la conceptualisation » SA, p.40.

[29] E.Husserl, La crise des sciences européennes et la phénomé nologie transcendantale Paris: Gallimard, 1976, p.83.

[30] MV, p.321.

[31] C’est ce qu’écrit Ricoeur dans un article intitulé « L’originaire et la question–en–retour dans la Crisis de Husserl », in Textes pour Emmanuel Lévinas Paris: 1980, et repris dans A l’école de la phénoménologie, op.cit. p.295.

[32] P.Ricoeur, « Rhétorique, Poétique, Herméneutique », publié initialement dans De la métaphysique à la rhétorique. A la mémoire de Chaïm Perelman, ed.M.Meyer, Bruxelles: Publications des Facultés Saint Louis, 1987, repris dans Lectures 2, Paris: Seuil, 1992, p.487.