La différence entre le normal et le pathologique comme source de respect

Dans cette réflexion à deux voix avec Paul Ricoeur, où j’épouserai le même plan que lui dans une sorte de tresse, je reviendrai d’abord aux trente dernières années: ce que je voudrais avec vous retenir d’essentiel, depuis le point d’ébranlement de la fin des années soixante, c’est en effet l’inflexion proprement éthique vers un sentiment général de fragilité, qui brise notre croyance dans un Sujet-roi, dans un Système technocratique omnipuissant, ou dans une Nature-mère inépuisable.

Fragilité psychique du sujet: un certain optimisme thérapeutique nous laissait croire que l’on pouvait suppléer à tout défaut, et nous avait ainsi fait passer de la problématique du permis-interdit à celle du possible-impossible. Ce qui était possible était permis aux sujets responsables, majeurs et consentants que nous cherchions à émanciper; nous avons ainsi survalorisé les capacités de l’individu à se différencier, à être lui-même tout seul: et nous avons obtenu des sujets épuisés, angoissés, dépressifs et éparpillés. Car si tout est possible, c’est au sujet de choisir, perpétuellement, et cette responsabilité est angoissante, parfois insoutenable. Par ailleurs cet individu très distingué n’est pas toujours à la hauteur de tous les engagements qu’il a ainsi contractés, et alors c’est l’effondrement, le sentiment d’impuissance.

Précarité historique des institutions: un certain optimisme politique nous laissait croire qu’ensemble on pouvait « tout » faire ou tout refaire; et que les institutions étaient malléables à merci. En effet le Système des institutions de notre société, au sens large, nous paraissait si solide qu’on croyait pouvoir sans gravité « taper dessus » pour lui donner une forme plus libre ou plus juste. Depuis l’écroulement du système soviétique, nous savons que nos institutions les plus solides sont précaires, que notre économie, notre justice, nos liens d’assurance mutuelle, notre santé publique, notre système éducatif, peuvent s’écrouler.

Vulnérabilité écologique de la nature enfin: un certain optimisme « naturel » (mythologique à vrai dire) nous laissait croire que la Vie sait toujours retrouver son équilibre, et que le déséquilibre même faisait d’ailleurs partie de la vie, de sa croissance infinie, de sa complexification ascendante. On était parti pour la Lune; mais en revenant de là vers la Terre, on se rendit peu à peu compte qu’on n’avait pas, à vue humaine, de planète de rechange, et qu’on n’y échapperait pas dans un exode cosmique. Même si le complexe techno-scientifique s’acharnait sur les PMA, le clonage, et le génie génétique, les humains ne pouvaient se donner un corps entièrement artificiel. Et notre condition terrestre nous apparut dans toute sa nudité, dans son extrême vulnérabilité.

C’est donc l’apparition de ce sentiment général de fragilité que je mettrai pour ma part en toile de fond de notre sens du respect pour la différence en général, et pour la différence entre le normal et le pathologique en particulier. Je prendrai cette différence comme à rebours sur les trois plans que je viens de désigner, et où la « norme » prend chaque fois un sens spécifique: le plan éthico-biologique, le plan éthico-social, et le plan éthico-psychologique.

Le plan éthico-biologique

La différence entre le normal et le pathologique comme source de respect médical suppose de revenir à cette bifurcation que j’appelle la Renaissance évangélique, sensible dans des ouvrages comme le Recepte véritable de Bernard Palissy, ou le traité Des monstres et prodiges, d’Ambroise Paré[1], qui offre comme une table des variations des anomalies biologiques: au centre de la gamme ces anomalies sont dûes à des accidents mécaniques, à l’hérédité, à des problèmes de matrice ou de semence, et on y est, à des titres divers, dans la description de l’expérience. Le livre se présente d’ailleurs comme une énumération ordonnée (parfois accompagnée de planches illustratives) des anomalies que Paré a pu observer, ou dont il a pu recueillir des témoignages probants. C’est sur les bords de la gamme, au début ou à la fin, que sont placées les interventions merveilleuses de Dieu, ou terrifiantes du Diable. Ces bords ne font pas vraiment partie de l’explication d’un monde « désenchanté », où les sortilèges et les justifications de la finalité ont été rompus, et où tout est sur le même plan mécanique. Mais la singularité des décrets divins (quand Dieu veut il peut) donne plutôt le cadre, les limites de la gamme, la limite des variations ordinaires; c’est cela que les prodiges et les anomalies de la nature donnent à voir. Pour la gloire du Créateur, et non pour la superstition apeurée des créatures.

Ce sentiment de la finalité comme cadre, comme limite, à la fois appartenant et n’appartenant pas au même plan que celui de l’explication scientifique, se retrouve chez Emmanuel Kant, dans sa Critique de la faculté de juger. C’est plutôt ici un fil heuristique qui signale les lacunes de la science, sans les combler (sans prétendre déterminer ainsi une « intention » de la nature). Un tel sentiment n’a de signification que subjectivement ou analogiquement, par une sorte d’intuition interne du vivant par le vivant qui n’a rien de surprenant si l’on suppose une sorte de parenté universelle[2]. Ce jugement téléologique se caractérise par le sentiment d’une convenance organique des parties par rapport à une totalité fonctionnelle, où « tout est fin et réciproquement aussi moyen »: cette organicité permet de comprendre pourquoi, comme Merleau-Ponty le rapporte dans La structure du comportement, quand on enlève la patte d’un insecte, ce n’est pas une lacune mécanique que l’on suscite, mais une réorganisation de l’ensemble du comportement (de la disposition des autres pattes). Comme le remarque Kant: « les monstruosités ou difformités dans la croissance provenant du fait que certaines parties, en raison de déficiences ou d’obstacles, se forment d’une manière tout à fait nouvelle, afin de conserver ce qui existe, et produisent ainsi une créature anomale »(p.191). Kant dit bien « anomale »: c’est parce qu’elle est « normale », c’est à dire qu’elle est une totalité organique et fonctionnelle, qu’une telle créature est anomale, qu’elle compense le défaut par quelque chose d’inhabituel, éventuellement d' »énorme » (le sublime est non moins esthétique que le beau).

Canguilhem au fond ne dit rien d’autre. La normativité biologique tient au fait que la vie, loin de se soumettre au milieu, l’institue. La santé se caractérise par la capacité à créer des normes. Le pathologique peut être dit « normal, dans la mesure où il exprime un rapport à la normativité de la vie (…) L’anormal n’est pas tel par absence de normalité. Il n’y a point de vie sans norme de vie, et l’état morbide est toujours une certaine façon de vivre »[3]. Qu’est-ce alors que le pathologique? Si on définit le vivant par la façon dont un organisme institue son milieu, le pathologique traduit la réduction des normes de vie tolérées par le vivant, la précarité du normal établi par la maladie ». La vie alors ou la guérison n’est pas un retour à l’innocence biologique, mais un remaniement de la normativité biologique: la capacité à créer de nouvelles normes inhabituelles, dans un milieu rétréci.

La différence entre le normal et le pathologique est ainsi l’occasion d’un respect proprement biologique et médical, qui ne cherche pas à réduire l’écart à la norme habituelle, à le tenir pour aberrant, mais au contraire à s’instruire par lui, à apprendre sur l’invention du vivant. Cette différence ouvre une réflexion sur les standards de vie, et de dignité de vie: elle amène à pluraliser les seuils, les limites et les différences entre le normal et le pathologique, qui apparaissent alors comme plus relatifs que ce que l’on croyait. Dans sa fragilité et ses déséquilibres mêmes, le vivant oblige à rouvrir ce que l’on considérait comme la règle, à la repenser. On peut dire ainsi que tout est pathologique, au sens où Freud montrait que pour comprendre le normal il faut chercher l’inhabituel, et au sens où Nietzsche montrait que le pathologique fait voir le normal. On peut également dire que tout est normal, au sens où c’est la norme qui fait voir l’irrégulier, le singulier; c’est ici le sens de la norme que de permettre de formuler la plainte. Le singulier n’existe pas dans un écart absolu mais relatif à la régularité.

Cette situation est d’autant plus troublante que l’antique partage entre un agir qui ne portait que sur des singularités (le médecin soigne une personne et non une généralité) et une connaissance qui ne portait que sur des généralités (la connaissance d’un singulier demande une quantité infinie d’information) est désormais ébranlé: car la bio-technique agit sur des généralités (voyez le génie génétique), et la clinique est une manière de faire méthodiquement ce que l’on veut savoir sur le singulier.

Où sont les limites, alors? Qui énonce le « normal »? Ce n’est pas une Nature immuable, et pas davantage le Biopouvoir d’une système de gestion de la santé publique: c’est « parce que les hommes se sentent malades » (p.156), parce qu’ils sentent le rétrécissement de leur ouverture au milieu. C’est alors qu’ils recherchent des capacités supplémentaires, qu’ils essayent de nouvelles possibilités d’être, d’être autrement mais pleinement. C’est cela qu’il nous faut apprendre à voir, à respecter, à traiter avec eux.

Le plan éthico-social

La différence entre le normal et le pathologique comme source de respect social et même politique, je voudrais l’aborder sous l’angle d’une transition par l’histoire, dont on sait le lien étroit qui l’unit toujours aux formes littéraires de son temps: c’est la littérature romantique, Hugo avec Notre-Dame de Paris, qui fait place au sublime en refusant de le mettre à l’écart. Remarquons d’abord la différence qui se trouve entre les variations plus ou moins concomitantes et déterministes du temps physique ordinaire et les variations pas vraiment concomitantes du temps historique[4]. Ce dernier ne se déploie que par la capacité des sujets de l’histoire à différer, à interpréter diversement leurs situations. C’est ce point qui fait la polysémie des faits historiques, le fait qu’ils n’apparaissent jamais qu’au sein de plusieurs configurations possibles, qui ont chacune leur échelle, leur rythme spécifique, leur cohérence temporelle. Et cela non seulement pour l’historien, mais d’abord pour l’acteur qui doit composer son temps, sa vie. C’est ce point qui conduit l’historien, cherchant à comprendre ce que les gens ont vécu, à chercher non l’invariant ou la moyenne, mais la gamme, la variation imaginative et pratique des interprétations qu’ils ont fait de leur contexte, cherchant eux-mêmes (ces acteurs) à savoir qui ils sont, à se distribuer les rôles, à comprendre ce qu’ils font plongés eux-mêmes dans le conflit de leurs interprétations[5]. De ce point de vue, il ne serait pas exagéré de rapprocher la notion « micro-historique » d’exceptionnel normal de la fonction de la métaphore dans les variations imaginatives chez Ricoeur: une anomalie normale de la vie du langage. Pour comprendre l’irréversibilité du passé historique, il ne suffit pas d’emboîter des temporalités et des causalités d’échelles différentes, il faut comprendre que les êtres du passés ont eux aussi eu affaire à l’irréversible, comme ils ont eu affaire à l’imprévisible[6], et que sur cela aussi ils ont différé, qu’ils ont dû l’interpréter.

Cela intéresse notre propos non pas seulement analogiquement, mais parce que ce régime d’historicité est lui-même contemporain d’un régime d’institution sociale et politique. Une institution historique et qui se sait fragile et précaire, et dont le propos est justement la protection du divers, le respect des différences, le désir de redonner une chance au faible. Au contraire de la « guerre », qui d’une manière ou d’une autre détermine la mise à l’écart définitive, l’élimination de tous ceux qui sont en trop, n’est-ce pas le sens de nos institutions (école, prison, hôpitaux, etc.) que de redonner une chance, de commencer par rétrécir le milieu afin de le réélargir lentement, de façon contrôlée? N’est-ce pas leur sens que de rouvrir la possibilité d’une gamme plus ample, et de réorganiser l’ensemble du tissu social pour faire place (architecturalement, juridiquement, etc.) aux faibles, aux handicapés: n’est-ce pas justement une chance d’obtenir une normativité supérieure pour tous, ouvrant plus largement les possibilités du vivre-ensemble?

Or cette orientation éthique de nos institutions est aujourd’hui menacée par le fait que dans une société libérale comme la nôtre on observe paradoxalement une très faible tolérance à l’anormal ou à l’anomal. Tout se passe comme si nos institutions (politiques, scolaires, hospitalières, judiciaires ou pénitentiaires) ne faisaient plus autorité, ne faisaient plus norme, n’avaient plus la force de remanier le milieu et de redonner une chance à ceux qui sont trop différents. Ces institutions doivent ainsi s’appuyer sur des contraintes extérieures (forces de police, vidéo-surveillance, standards techniques, contraintes budgétaires, etc.) qui ne peuvent fonctionner qu’en s’appuyant sur des repères normatifs beaucoup plus univoques.

Le paradoxe est donc que les sociétés « holistes », où les individus reçoivent leur identité de leur place fixée dans un ensemble, pourraient ainsi avoir été des sociétés beaucoup plus tolérantes aux différences et aux anomalies que les sociétés « individualistes » qui caractérisent notre temps. Ces dernières sont des sociétés libérales, apparemment peu normatives, où il n’y a plus de transgression de la Loi ou de l’ordre social parce que cette loi ou cet ordre ne surplombent plus les individus, ne lui sont plus extérieures et antérieures. Mais ce sont des sociétés très « conformistes », qui ne survivent que par cette conformation très rigoureuse des sujets auto-disciplinés aux règles qu’ils intériorisent et dont ils sont en quelque sorte interminablement responsables. D’où le désarroi normatif qui caractérise notre temps. Nous n’assistons pas à un effacement de la norme, mais à son déplacement. Les limites de la santé et de la maladie ne sont plus instituées ni ordonnées par une instance extérieure et reconnue; les frontières entre le médicament et la drogue non plus: elles sont fixées de manière très incertaine par les caprices et les pratiques de chacun, dans sa recherche de ne pas trop différer des autres.

Le plan éthico-psychologique

Nous sommes passés du monde où il avait du permis-interdit à un monde où il y a du possible-impossible. Ce qui est techniquement possible est désormais généralement permis aux sujets responsables, majeurs, consentants et émancipés que nous sommes. Si nous n’y arrivons pas, du coup, l’échec n’est imputable qu’à nous-mêmes. Le sujet responsable et hyperactif que nous venons de décrire devient son propre persécuteur. Le sujet est à lui-même sa propre norme, ce qui fait que c’est toujours et totalement de sa faute. La culpabilité généralisée, la violence contre soi-même, sont beaucoup plus caractéristiques de notre temps que de celui des rigoristes puritains! Comme nous le disions ne commençant: si tout est possible, c’est au sujet de choisir, perpétuellement, et cette responsabilité est angoissante, et parfois insoutenable.

Nous voulons des sujets autonomes, capables de s’assumer totalement, et nous survalorisons l’Individu dans sa singularité incomparable, dans sa capacité à tenir son rang au milieu de tous ses échanges, avec un milieu très large et très complexe. Mais quand l’Individu craque, quand il doit diminuer ou s’accepter « diminué », quand il doit se dépouiller de tous ses pouvoirs et savoirs face à la maladie, ou face à la mort, quelle chute! Quelle dépression! Et quand il ne parvient pas à se rassembler, à tenir sa cohérence dans l’éparpillement, quand il ne peut plus promettre ni pardonner, quand il se retrouve incapable de répondre de lui-même, ce n’est pas du tout et jamais de sa faute. Nous avons survalorisé les capacités de l’individu à se différencier, à être lui-même tout seul, et nous obtenons des sujets épuisés, angoissés, dépressifs et éparpillés.

Cette perplexité rencontre une seconde, peut-être plus profonde. Nous savons que c’est la précision même des règles morales qui fait voir la singularité et l’exception que la sollicitude demande parfois au respect de la règle[7]. On peut ainsi distinguer le « respect de la loi », de la norme morale, et le « respect des personnes », qui fait l’étoffe de la sagesse pratique, et cette distinction n’est pas sans effet sur la différence entre le normal et le pathologique comme source de respect.

En effet la première orientation du respect voudrait que n’importe qui puisse se mettre à la place de n’importe qui: cette règle de réciprocité nous place derrière un « voile d’ignorance » tel que nous fassions comme si, traitant un autre, nous traitions nous-mêmes; et nul savoir bio-médical, neurologique ou génétique, ne doit prétendre lever ce voile pour prétendre déterminer définitivement ce que le sujet traité sent ou ne sent pas, ce dont il est capable ou incapable. Et la seconde orientation voudrait une sollicitude pour la fragilité et la singularité irremplaçable du prochain (la « brebis perdue », dans l’inversion hyperbolique de la syntaxe de l’action que propose cette histoire), une sollicitude susceptible de remanier et de réorienter les normes, pour en faire des normes plus denses en singularités, et à la fois plus universelles.

Mais on peut inverser les propositions et les postures, car il faut aussi dire que la sollicitude, le respect de la fragilité et de la vulnérabilité de quelqu’un, demande à ce que cette personne soit protégée par une institution, par une normativité qui empêche qu’on lui fasse du mal, qui fasse écran. Une telle institution donne ainsi une sorte de prothèse de l’imagination ou de la compassion pour se mettre à la place de l’autre[8], sans lui prêter a priori nos propres compétences, désirs, capacités. En lui faisant vraiment place. Et à l’inverse le respect de la règle et du voile d’ignorance, à son tour, détermine un respect des capacités, des pouvoirs propres de chacun, de ses possibilités, de ses potentialités, de ses responsabilités; loin d’enfermer l’autre dans sa fragilité ou son handicap, il s’agit alors de faire crédit à sa créativité, à sa capacité d’instituer son milieu. Et de lui en donner les moyens.

On peut ainsi décliner le sentiment de fragilité successivement sur les trois plans que nous avons abordés, éthico-biologique, éthico-social, éthico-psychologique. Et elles s’augmentent mutuellement. Les formes du respect se déplient en rapport à ces fragilités, dont il faut tout faire pour qu’elles puissent être formulées et entendues sous toute leurs formes. Mais cette fragilité n’est pas neuve: elle est aussi ancienne que la vie, que nos sociétés et elle est coextensive à nos existences entières. Dans tous les cas, il nous faut ne céder ni à l’illusion d’un progrès automatique, ni à la nostalgie d’un âge d’or où l’on aurait atteint un équilibre depuis perdu. Même si les découvertes techniques peuvent bouleverser nos pratiques, elles ne le peuvent qu’en épousant ce qui de l’intérieur anime ces pratiques et les oriente, pour le meilleur ou pour le pire. C’est ce sens éthique qui leur donnera de faire place au respect des différences, ou les abandonnera à leur logique de conformisation. Mais ce n’est pas davantage la nostalgie qui peut nous animer, même si nous regardons toujours un point de notre passé comme l’âge d’or après lequel tout est pire: la vie se manifeste non par un équilibre imaginaire, mais par une capacité irréversible à remanier la normativité, les habitudes, le passé tout entier, pour y rouvrir la possibilité d’un imprévisible.

Olivier Abel

Publié dans Actes du XIème colloque de la Fondation J. Bost,
La Force, p.15-22. Conférence à deux voix avec P.Ricœur.

Notes :

[1] A.Paré, Des monstres et prodiges Paris: Slatkine, 1996.

[2] E.Kant, Critique de la faculté de juger, Paris: Vrin, 1974, p.231.

[3] G.Canguilhem, Le normal et le pathologique, Paris: PUF, 1966, p.155.

[4] Ricoeur écrivait il y a quarante ans: « une civilisation n’avance pas en bloc ou ne stagne pas à tous égards. Il y a en elle plusieurs lignes (…) La vague ne monte pas au même moment sur toutes les plages de la vie d’un peuple (…) la même époque peut être progressiste en matière politique et régressive en matière d’art », Histoire et vérité, Paris Seuil 1964, p.89. Voir également Simona Cerutti Jeux d’échelles (sld J.Revel) Paris Gallimard Le Seuil 1997, p.163, et Giovani Levi, ibid. p.189.

[5] Maurizio Gribaudi, Jeux d’échelles, op.cit., p.127, 139, 174-175. Encore faut-il ne pas réduire le conflit à la compétition pour les ressources, ou à des stratégies différentes pour réduire l’imprévisible (p.122-123 et p.137). Car le fait d’être né, parce qu’il exige de répliquer par la parole et l’action, oblige les acteurs à interpréter, c’est à dire à différer les uns des autres, à produire de l’imprévisible.

[6] Bernard Lepetit, op.cit.p.75. Sabina Loriga, op.cit. p.228 et 230.

[7] Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Paris: Seuil, 1990, p.312: « la sagesse pratique consiste à inventer des conduites qui satisferont le plus à l’exception que demande la sollicitude en trahissant le moins possible la règle (…) Le premier exemple est bien connu sous le titre devenu banal de la vérité due aux mourants. Une brèche semble en effet s’ouvrir entre deux attitudes extrêmes. Ou bien dire la vérité sans tenir compte de la capacité du mourant à la recevoir, par pur respect de la loi supposée ne tolérer aucune exception; ou bien mentir sciemment de peur estime-t-on d’affaiblir chez le malade les forces qui luttent contre la mort et de transformer en torture l’agonie d’un être aimé. La sagesse pratique consiste ici à inventer les comportements justes appropriés à la singularité des cas ».

[8] « Si l’on attache l’idée de dignité aux seules capacités pleinement développées, telles que l’autonomie du vouloir, seuls les individus adultes, cultivés, éclairés, sont des personnes » ibid.p.315.