La fermeture du Palais de la Découverte ?

J’ai appris que l’existence du Palais de la Découverte, où je vais souvent avec mes enfants, était menacée. Créé en plein Front populaire, en 1937, par le physicien Jean Perrin, ce fameux musée des sciences occupe l’aile ouest du Grand Palais. Paul Valéry en fait l’éloge enthousiaste dans son livre Regards sur le monde actuel. C’est là que de nombreux jeunes scientifiques ont senti naître leur vocation, comme le raconte Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique, « ma vocation est née du plaisir d’y découvrir des expériences, celles qu’on pouvait faire soi-même et celles qu’on nous expliquait ». Car la caractéristique du Palais est non seulement de mettre les spectateurs en situation expérimentale et de les étonner, mais de les intriguer en racontant au fur et à mesure ce qui se passe et va se passer. Cette médiation orale est la clé de ce que Gaston Bachelard appelait La formation de l’esprit scientifique — qui était aussi pour lui celle d’une société qui met en son centre l’école, et non le centre commercial. Ici le public est conduit à faire un effort intellectuel et découvre que c’est possible, qu’on peut comprendre les grands phénomènes de la mécanique, de l’optique, de l’électricité ou de la génétique, etc.

De quoi le Palais de la Découverte est-il menacé ? D’une fusion avec la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette, dans un statut d’établissement public à caractère industriel et commercial. Cela n’aurait rien de bien ennuyeux sauf si la Cité des Sciences, dont le budget est colossal, imposait sa démarche sans tenir compte du style spécifique du Palais.

Quel est ce style ? En schématisant, on pourrait répartir les musées scientifiques parisiens selon trois âges de la connaissance. Au Jardin des Plantes, les objets de la science sont des objets naturels, qu’il s’agit de voir, d’observer, de décrire, de comparer avec respect, sinon émerveillement : c’est un voyage dans le lointain du temps et de l’espace. Au Palais de la Découverte, on voit « la science en train de se faire ». Les objets de la connaissance sont des machines, des assemblages qui permettent de capter et d’isoler un phénomène, une expérience que l’on peut faire, défaire, refaire. C’est l’âge de la thermodynamique : pour connaître le monde il faut le changer. A la Villette, la Cité des Sciences enfin suppose une transmutation universelle en numérique, en langage, en code : les processus sont l’exécution d’un programme, avec des bugs qu’il faut comprendre et réparer, c’est à dire décoder et recoder mieux. Inutile de dire que chacune de ces configurations appelle un supplément, et c’est ensemble, par les correctifs mutuels qu’ils s’apportent, que ces musées sont vivants.

Ce qui me choque le plus ne serait donc pas la fusion de ces musées, si leurs spécificités étaient respectées et leurs moyens de rayonnement augmentés. C’est la perte de l’emplacement actuel et le déplacement qui semble prévu du Palais de la Découverte dans une partie plus réduite du Grand Palais. On voit bien que nous n’avons plus besoin de Palais pour la science. Place aux arts et à leur mercantilisme! Il est de bon ton aujourd’hui d’afficher son ignorance de la recherche scientifique, de mépriser climatologues et géologues, et cela se voit bien dans l’évolution générale des budgets publics : nous avons cessé d’investir le difficile et vigilant progrès de la connaissance. Voici 2010, vive le divertissement !

Midi-Magazine sur la radio Fréquence protestante
Mardi 29 décembre 2009

 

Olivier Abel
(merci de demander l’autorisation avant de reproduire cet article)