« rapport sur le mouvement du Christianisme Social »

Rapport moral du président

Mes amis, mes propos ne pouvant couvrir mon absence, je ne m’étendrai pas trop longtemps, mais seulement le temps de vous saluer, et de saluer deux ou trois faits saillants. La petite constellation ou configuration formée par les « présents » du 13 mai 2000 à Batignolles est représentative de ce que « nous » sommes. Comment puis-je écrire cela alors qu’il est possible que vous n’y soyez que trois?

C’est d’abord que « nous » ne savons peut-être pas vraiment qui nous sommes, mais nous ne nous retournons pas pour voir ailleurs, de qui on parle. Ceux qui sont là sont de ceux qui ont assez de confiance en eux, en la possibilité d’une parole ou d’une action commune, pour dire « nous voici ». Il est tellement plus facile de se retirer du monde commun dans le pré carré de sa vie privée, de refuser sa voix, ou de la replier dans la dénonciation, que votre présence atteste déjà le refus du scepticisme et de la résignation. Votre parole nous engage.

C’est ensuite parce que dans une société de « réseaux » et de « projets », où les nouvelles formes de la puissance ont adopté cette stratégie, le petit réseau que nous formons, représentatif d’autres liens, a bien la forme que peut prendre une résistance critique à ce que cette société a de profondément « asocial ». Ce que je salue ici, avec vous, c’est la fidélité. C’est votre fidélité, c’est notre commun attachement à cette fidélité qui ne rompt pas les liens dès que ceux-ci ne nous sont plus utiles. Votre présence atteste la volonté de ne pas lâcher les liens, de résister à leur liquidation.

Vous le savez, l’expression que nous voulons donner à cette mise en réseau des paroles et des actions, justement parce que nous acceptons leur caractère fragile et fugace, est celle d’un « cahier », inséré dans Autres Temps, et qui prêterait la voix à tout ce qui peut se faire, dans le sillage du protestantisme français mais aussi partout où « nous » nous reconnaissons, d’expressif du Christianisme Social. Cette rubrique « en mouvement » ou de quelque nom qu’on l’appelle, devrait manifester ce souci. Raphaël Picon, qui coordonne cette rubrique, vous en parlera plus en détail.

Un autre cadre durable de manifestation du même souci, cette fois en direction d’un public parisien, sera l’an prochain la série de conférences et de débats que nous allons organiser avec le paroisse Sainte-Marie, près de la Bastille (un cadre admirable pour ceux qui la connaissent). Laurent Gagnebin, qui a participé à la première réunion préparatoire de cette série, vous en parlera mieux que moi. Nous espérions faire la même chose avec Pierre-Yves Ruff à l’Oratoire, il y a deux ans, mais cette initiative qui vient de la paroisse Sainte-Marie est pour nous une belle chance à saisir. Nous nous réjouissons de ces liens avec des paroisses, comme ici de l’accueil par celle de Batignolles, ou comme de la conférence au Centre Culturel Luthérien organisée avec Laurent, Pierre-Olivier, et Rémy.

La revue, dont on verra que l’équilibre budgétaire est délicat et incertain, a reçu, par les bons offices de Laurent Gagnebin, le soutien de l’Association Suisse pour les protestants disséminés: 40.000 francs qui seront très précieux. Nous essayons également de préparer un dossier pour obtenir le soutien du Centre National du Livre où je siège actuellement.

Au-delà de ceux dont vous connaissez déjà l’implication (je pense à Jacqueline Amphoux qui tient la rubrique des recensions, le Comité de rédaction s’est enrichi de la participation de plusieurs nouveaux membres comme Stéphane Lavignotte, très lié aux Verts parisiens, et dont les compétences de journaliste nous seront très précieuses, comme Robert Philipoussi, dont nous connaissons tous depuis longtemps les engagements et qui sera d’une grande ressource dans « notre » réseau, ou comme Maria Lafitte qui sans être protestante (elle travaille sur la sociologie de l’islam en France) a déjà pris une grande place dans la réalisation de la revue. Il s’agirait notamment d’installer la revue sur un site internet, qui lui donne non seulement un pignon sur cette « rue » là, mais un forum pour nos correspondants plus lointains. Nous voudrions continuer à étoffer le Comité, pour qu’il ne soit plus réduit au carré des quelques intellectuels débordés à qui l’on a pu reprocher de tout faire tout seuls!

J’oublie certainement les points les plus importants, auxquels vous saurez penser. Je veux remercier vivement Maurice Laffon pour la constance de son engagement qui nous est si précieux, et parmi ceux que je n’ai pas encore nommés Pierre-Olivier Monteil qui a, il faut le dire, porté la revue à bout de bras pendant trop longtemps. Nous essayons de trouver une nouvelle formule pour ces tâches de rédaction et vous en parlerez certainement. Raphaël Picon, dont nous saluons la venue prochaine à Paris dans son nouveau poste de responsable des relations internationales de l’ERF, peut nous aider à développer cet aspect-là de nos activités. Cela fait longtemps par exemple que nous voulions faire quelque chose avec les revues Dissent (New-York), Esprit, la Faculté de Paris et Union Theological Seminary. Il est possible également que nous organisions, avec la revue Esprit, un rendez-vous mensuel autour des questions de politique et d’anthropologie religieuse dans nos sociétés.

C’est que la « politique » se tient aussi dans l’espace interrogatif et rhétorique ouvert par la question: qui sommes-nous pour vivre d’autant plus ensemble que nous nous distinguons davantage les uns des autres? Comment pouvons-nous d’autant plus différer, accepter nos désaccords, que nous reconnaissons nos ressemblances? Comment pouvons-nous chercher à comprendre et partager les souffrances et les bonheurs de notre temps, sans nous résigner à leur incommunicabilité? Notre mouvement se doit d’être un tel espace, trop rare aujourd’hui. Et il le peut y contribuer, à la mesure modeste de ce qu’il représente et qui est pourtant bien davantage que ce nous sommes. Merci.

Olivier Abel

Publié dans Autres Temps n°66 été 2000