« La voix du pape »

Il ne faut pas attendre d’un protestant une sympathie immense pour cette extraordinaire médiatisation autour de l’affaiblissement du Pape, qui fait encore une fois du Vatican une des plus grandes scènes de nos ultramodernes sociétés du spectacle. La comparaison avec un chemin de croix, que l’on a pu entendre lors de la « semaine sainte », est à donner la nausée : car il ne s’agit pas d’une injuste condamnation, d’un martyr, d’une torture ou d’un assassinat.

Passion

Le Pape n’est pas malade, il est en train de mourir de mort naturelle, et on aimerait plus de sobriété, plus de respect. Pour lui. Pour tous ceux qui partout souffrent dans l’indifférence. J’espère ce disant ne froisser personne de sincère.

Et puis l’on vérifie, une fois de plus, combien le théâtre romain, qui met en avant plusieurs degrés de représentation avant d’en venir à l’absence ou à la présence réelle, a de prégnance dans notre imaginaire de post-chrétienté. La Contre-Réforme avait raison : il faut tout miser sur la transmission, c’est à dire sur le caractère central de l’eucharistie et de la personne qui à chaque fois représente l’unité du corps de l’église. C’est ainsi que le catholicisme prend forcément le pas sur tous les autres christianismes, protestants, orthodoxes ou autres : à la télévision comme dans l’ensemble des médias, il est tout de suite et complètement représentable. Il est au cœur de la représentation, « en personne ». On l’a compris, ma sympathie ne va pas non plus à cela.

Mais derrière tout ce bruit, la voix du Souverain Pontife, Jean-Paul II, va faiblissant. Jamais pourtant son écho n’avait été si grand de par le monde. Or ce ne sont pas les discours portés par cette voix, qui la précèdent et qui continueront après elle, qui importent ici, comme je vais tenter de le montrer. C’est cette voix même, qui a fait entendre son timbre constant au long de ces années d’affolement, c’est cette voix que nous continuerons à saluer.

Car dans la teneur des discours, à l’aune de Jean XXIII et de Vatican II, et même si je n’ai suivi les choses que de très loin, je ne trouve pas qu’il ait apporté tellement de bonnes choses. C’est presque étonnant. Il a finalement moins combattu le système soviétique qu’il n’a vilipendé l’individualisme de l’Occident, son soi-disant matérialisme, sa débauche, dont il n’a cessé d’exagérer ce qu’il appelle la culture de mort. Il a finalement moins insisté sur l’éthique sociale de l’église qu’il n’a cessé de charger les fidèles d’une morale souvent impraticable. Il a finalement moins développé le pluralisme dans l’interprétation des Ecritures qu’il n’a affirmé l’évangile unique de la Vie qui fait taire tous les désaccords, et que sous son pontificat la hiérarchie ecclésiale s’est considérablement renforcée, verticalisée. Il a finalement moins cherché le dialogue des religions qu’il n’a affirmé le caractère central de la voix romaine, les autres églises n’étant que des « communautés égarées » — un exemple : l’accord luthéro-catholique sur la justification par la foi ne l’a pas empêché, un mois plus tard, de promulguer une bulle où il réaffirmait les indulgences. Ces quatre points d’ailleurs, à y regarder de près, manifestent combien il est en phase avec l’imaginaire du monde moderne.

Et pourtant, derrière tous ces discours plus ou moins exagérément réactionnaires, il y a la voix, la crédibilité propre à Vojtyla, son attestation. Il y a des vrais gestes de repentance, des vraies postures de résistance, une façon incessante de dialoguer et de prier. C’est tout cela qui va nous manquer, quand cette voix s’éteindra, bien davantage qu’un discours à vrai dire parfois étouffant. C’est une intuition métapolitique qui a fait de cette voix si forte l’une des seules à savoir porter le deuil, la plainte, et le souci des voix les plus faibles sur la place publique. Et cette voix était plus forte que son propre discours.