Le Comité Consultatif National d’Ethique

L’Elysée souhaite réformer le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Une évolution qui pour plusieurs membres du Conseil est une menace pour son indépendance, si ce n’est pour son existence. Une inquiétude partagée par le député UMP Jean-Sébastien Vialatte.

L’Elysée a donc décidé de réformer le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et de nommer un nouveau président, en remplacement du professeur Didier Sicard, à sa tête depuis 1999. Et c’est par la presse que l’entourage de Nicolas Sarkozy a fait connaître ses intentions. Selon Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy, « nous ne sommes pas satisfaits du fonctionnement actuel du Comité. Nous sommes persuadés qu’il y a trop de monde. Il a perdu en notoriété. On s’interroge sur son fonctionnement ». Le successeur de Didier Sicard devrait être nommé par décret « dans les jours à venir » et faire des propositions de réforme, qui seront intégrées à la révision de la loi sur la bioéthique, en 2009. Quant au « remerciement » de Didier Sicard, notre interlocutrice estime qu’après bientôt dix ans « il faut savoir se renouveler ».

« Une erreur politique » selon Olivier Abel, philosophe, membre du Comité. « Didier Sicard est une de nos sentinelles et un digne représentant de l’ensemble du monde chrétien et de la tradition humaniste. » Pour le philosophe, le « génie de Didier Sicard » est de savoir élargir les questions posées pour en faire de vrais débats de société, au lieu de les limiter à des réflexions techniciennes. Résultat : « On gêne tout le monde : l’ordre des médecins et les autorités de tutelle, qui voudraient que nous répondions par “oui” ou “non” à des questions très techniques. Mais ce sont des cas complexes que nous étudions, sans “bonnes réponses”. Nous élargissons et nous compliquons la réflexion. Mais alors, nous devenons un point d’appui pour la contestation à la politique gouvernementale, même si nous ne sommes pas dans la confrontation systématique. »

Didier Sicard reconnaît lui-même qu’il a fait évoluer le CCNE vers « moins de bioéthique » et « plus de protection de la relation humaine », ce qu’on lui reproche aujourd’hui.

C’est ainsi que le CCNE a récemment planché sur la santé en prison, le dépistage précoce de la délinquance chez les enfants, ou les tests ADN, par exemple. Et ses récents avis ont été critiques à l’égard de la politique gouvernementale. Et ce n’est pas fini. Le Comité travaille actuellement, entre autres, à un rapport sur « prison et psychiatrie » dans le contexte de la rétention de sûreté. Faut-il voir dans les déclarations élyséennes la volonté de museler un Comité jugé trop indépendant ? Certains le craignent. « Nous n’avons pas autorité pour faire la loi, poursuit Olivier Abel. Mais nous sommes là pour poser des questions et faire vivre le débat démocratique. Si nous ne le faisons pas, qui va le faire ? C’est un véritable enjeu de société. »

Un autre membre du CCNE, qui souhaite rester anonyme, renchérit : « Nous courons le risque que le comité devienne quelque chose de technique qui accompagne les politiques au lieu de les questionner. Je suis inquiet sur le fond des critiques qui nous sont faites, pas sur la réforme elle-même. »

« Désinvolture »

Au cœur des pistes envisagées, la réduction du nombre de membres. Ils sont aujourd’hui 39, plus le président, nommés par l’Elysée, l’Assemblée nationale, le Sénat, différents ministères et organismes scientifiques. Tous bénévoles, ils sont médecins, chercheurs, juristes, ou représentants des grandes familles spirituelles françaises. Nombreux, ils élaborent une réflexion collective qui aboutit à des avis qu’aucun membre pris individuellement n’avait au départ. D’où sa richesse et son indépendance. « Un nombre réduit de membres n’est pas un gage d’ouverture de la réflexion », poursuit notre interlocuteur anonyme.

L’Elysée a-t-il aussi été sensible à l’agacement que certains autres organismes ont pu récemment manifester à l’encontre du CCNE, notamment la Haute autorité de santé ou l’Agence de biomédecine, qui supportent mal d’être concurrencées sur le terrain de l’éthique ? Peut-être. Au CCNE, on considère que « l’Agence de biomédecine n’est pas une alternative ! Elle est utile en tant qu’agence de régulation, elle est complémentaire et non substitutive du Comité d’éthique », souligne notre interlocuteur anonyme. Et Didier Sicard lui-même de conclure : « Il y a une désinvolture à l’Elysée de vouloir réduire le nombre de membres à 20 pour les faire parler de la “vraie vie”, comme si la prison ou la fin de vie n’étaient pas la vraie vie ! »

Olivier Abel

Entretien conduit par Marie Lefebvre-Billiez,
publié « Le Comité d’éthique malmené » dans Réforme le 14 février 2008