« les jouets et le plastique »

Bientôt Noël ! Les cadeaux souvent sont déjà préparés. Sont-ce même des cadeaux ? La plupart ont été choisis par les enfants, ce qui brise l’aura et l’autorité de la chose offerte, et laisse l’idée désastreuse qu’il vaut mieux s’attacher à ce qu’on choisit qu’à ce qu’on reçoit. Quoi qu’il en soit, les chambres de nos enfants vont recevoir un amoncellement supplémentaire de jouets en plastique et autres peluches. On pourrait discuter et critiquer le nombre de ces jouets, qui les dévalue et montre combien nous n’y croyons plus. Quel n’était pas l’attachement à son nounours, quand on n’en avait qu’un ! Et ne montre-t-on pas ainsi d’emblée que l’attachement est inutile, que tout est remplaçable ? Mais on voit des enfants donner leurs jouets, s’en déprendre pour les offrir, neufs encore ou quasi, à des enfants plus démunis —et ce geste de repartage des jouets, où l’on donne ce qu’on a reçu, pourrait devenir un vrai rite, une vraie fête, si notre société croyait ne serait-ce qu’un tout petit peu à la possibilité de partager la joie. Mais notre société ne croit plus au père Noël. Parlons d’autre chose.

On pourrait également discuter et critiquer le principe même d’objets conçus et produits comme des jouets, des objets à part, séparés du monde et constituant une évasion hors du monde. Qui ne se souvient des heures passées à jouer avec un petit objet bizarre trouvé dans un tiroir du bureau de son père ? C’est que le jeu et l’art même consistent à détourner les choses de leur finalité, à les laisser rêver, à les détacher de l’usage normal pour leur faire représenter et servir à autre chose. Les objets caractérisés comme jouets sont trop visiblement asservis à un seul jeu, à une seule fonction. Il est difficile de les ouvrir à d’autres usages. C’est d’ailleurs tous les objets qui nous entourent qui sont pris dans la même évolution qui réduit peu à peu la polyvalence des objets. Mais parlons donc d’autre chose : je veux m’attarder ici seulement sur la matière et sur la forme de ces jouets. Les deux vont de pair.

Nulle part davantage que dans le domaine du jouet le plastique est roi. Que l’on ne se méprenne pas sur mon propos. J’aime les divers « plastiques », qui sont pour moi des matériaux nobles et rares. On pourrait imaginer un design de ces plastiques qui en fasse sentir le prix extrême — car le jour viendra, tôt ou tard, où les produits de la pétrochimie vaudront de l’or. Et il arrive il est vrai de tomber sur des jouets en plastique superbes. Mais nous produisons généralement les jouets en série comme des choses qui ne sont que des représentations vagues et inoffensives, des copies boursouflées du réel. On demande ainsi au plastique d’imiter ou d’enrober n’importe quelle forme, n’importe quelle fonction. Comme s’il n’avait pas ses possibilités, ses contraintes et ses morphologies propres. On s’étonne ensuite que le plastique fasse toujours « faux »!

Ce que l’on sous estime ainsi, c’est le fait que les objets dont nous entourons nos enfants sont leurs précepteurs, leurs maîtres en objectivité. Les parents peuvent transmettre toutes les valeurs qu’ils veulent, les enfants peuvent passer ensuite des années sur les bancs des collèges, un socle dogmatique aura été posé, qui ne sera plus jamais contesté. C’est que les objets, et parmi eux particulièrement les jouets, sont indiscutables. Leur enseignement est sans réplique. Mon inquiétude est que tous ces objets ne forment l’esprit de nos enfants, leur perception même, dans l’idée que tout est facilement malléable, que la réalité elle-même est plastique, renouvelable, remplaçable à volonté, à profusion. Et ce rêve se poursuit dans la consommation des adultes, dans leurs vidéos en plastoc, et jusque dans ces grosses voitures qui ressemblent à des jouets en plastiques. Le jour où ils devront se réveiller à la vraie réalité, cela fera mal.

Paru dans La Croix 21/12/05

 

Olivier Abel
(merci de demander l’autorisation avant de reproduire cet article)