« Pour d’Autres Temps »

La revue Autres Temps a décidé de s’effacer. Autres Temps était depuis 1984 la dernière forme prise par la Revue du Christianisme social qui existe depuis 1887. Elle a connu des périodes fastes au temps d’Elie Gounelle et Charles Gide, ou plus récemment au temps d’André Philip ou Paul Ricoeur. Toutes ces dernières années encore, envers et contre un certain conformisme, Autres Temps a proposé des numéros parfois magnifiques, et toujours cherché à donner la parole à des voix nouvelles. Mais nous n’avons plus la force de porter et d’entendre de telles paroles. Notre protestantisme, et le corps pastoral lui-même, est de moins en moins le vecteur d’intelligence courageuse qu’il a été : peut-être a-t-il trouvé un autre profil caractéristique, mais je ne vois pas bien encore lequel.

Il faut cependant remettre cela sur le fond d’une situation plus générale : à grandes vagues, grands ressacs. Et nous sentons tous combien il est vain de nous battre contre cette régression dont nous pouvons légitimement penser qu’elle est provisoire et qu’elle sera demain balayé par une nouvelle vague. Qui sait, le paysage de nos sociétés sera peut-être dans dix ans, dans deux ans, tellement bouleversé que nous aurons besoin de nouveaux organes d’expression ? Le ressac toutefois n’est pas celui du Christianisme social, mais la décomposition de plus en plus rapide non seulement du lectorat en général, mais aussi de nombre d’institutions qui représentaient des intelligences collectives : revues, mouvements, églises, partis politiques. Notre société est de plus en plus constituée de consommateurs-zappeurs, et le vrai travail, durable, n’est plus de mise !

Trop d’institutions cependant ne se maintiennent qu’à bout de bras sans trouver la force de se laisser renouveler par des nouveaux venus, et sans s’apercevoir que s’il y a un temps pour commencer, et un temps pour maintenir, il y a aussi un temps pour en finir. Autres Temps a donc décidé un geste exemplaire, à la fois spirituellement et politiquement, celui de l’effacement, pour laisser la place à la possibilité de recommencer. C’est un geste dont le sens dépendra de la suite qu’on lui donnera. Autres Temps a décidé de disparaître parce qu’il faut savoir mettre un terme aux bonnes choses, justement pour qu’elles restent bonnes. Autres Temps jette ainsi tout ce qui lui reste de force, d’expérience, de désir, pour refonder ensemble, ici ou ailleurs, bientôt ou plus tard, une nouvelle revue ou autre chose que nous ne savons pas encore. C’est ce rendez-vous qu’Autres Temps lance à tous ceux qui le veulent.

Paru dans Réforme n°3048, 9 octobre 2003

 

Olivier Abel
(merci de demander l’autorisation avant de reproduire cet article)