Une interpellation globale nous est lancée : en quoi le monde protestant est-il autre chose qu’une addition de sectes, des variations dissidentes sur un thème évangélique ? Nous ripostons d’ordinaire par la symétrique : en quoi les religions établies, et les institutions avec leurs fastes et leurs cérémonies, sont elles autre chose qu’une secte ayant trop bien réussi à prendre le pouvoir ? Mais nous ferions bien, auparavant, de sauver du discrédit le mot « secte » lui-même.
Comprendre la secte, c’est comprendre ce qui autorise une troupe de jeunes gens à dresser un camp de toile dans la nuit, en marge du monde, comme s’ils secouaient la poussière de leurs sandales pour ne pas emporter un brin de ce monde corrompu et vermoulu. Ils se séparent ainsi des autres, et leur dure prétention à la pureté est perçue comme menaçante. Pourtant il semble que depuis la nuit des temps, c’est dans cette situation marginale que, au sein de bandes de jeunes adultes chassés par les chefs de clan, et condamnés à innover pour survivre, certaines des meilleures inventions humaines ont vu le jour — c’est encore l’histoire de Caïn, mais peut-être aussi celle de Moïse. La secte c’est cette épopée d’un peuple d’amis qui s’ignorent, et qui dans la nuit marchent vers un autre horizon.
La Réforme, plus récemment, a introduit une sorte d’esprit de dissidence, de droit de partir, sans lequel nous n’aurions même pas l’idée de la liberté religieuse telle que nous l’entendons. Or il me semble que le monde adolescent actuel est dans cette situation, de refus du monde tel qu’il est. Même la foi chrétienne, ils ne savent qu’en faire : il est impossible d’accepter que le christianisme ne soit que ça, toutes ces formes historiques discutables ; mais il est impossible pourtant de continuer à dire qu’on n’a encore rien vu, que c’est tout autre chose…
Ce monde adolescent, ces jeunes gens pourraient cependant trouver dans ce que notre protestantisme a parfois de radical, de rebelle aux conformismes, non seulement le discours mais la voix de la protestation qui dit « non », qui se moque des lieux communs et qui déconstruit pierre sur pierre les préjugés établis. Dans le même temps, il faudra bien aussi que ces adolescents trouvent un jour la voie qui conduit au monde commun, qui y ramène — cette voix qui seule peut faire entendre que « Dieu a tant aimé le monde… ». L’institution n’est autre que le théâtre qui fait entendre ensemble ces deux voix, et sans lequel elles ne dissoneraient même pas — sans lequel il n’y aurait jamais eu quatre évangiles.
Olivier Abel