« Vivre heureux dans les limites écologiques »

L’idée d’un rêve qui a mal tourné revient souvent dans les propos du philosophe Olivier Abel. Les intentions à l’origine de la modernité étaient louables, reconnaît-il, mais la société qui en a émergé dysfonctionne désormais très fortement. Le plus grave, cependant, est que ses membres peinent collectivement à en tirer les conséquences pour s’ouvrir à de nouvelles possibilités.

Pire, ceux qui prennent conscience des « craquements » qui fissurent la société sont souvent démunis et, estime Olivier Abel, enclins à diverses formes de visions apocalyptiques et de réflexes de fuite. « Nous devons changer de rêve ou retrouver en nous la bifurcation à partir de laquelle il a viré au cauchemar », écrit-il1.

La religion, la philosophie et l’imaginaire culturel ont partie liée avec ce rêve. Professeur de philosophie à l’Institut protestant de théologie de la faculté de Paris et observateur attentif des évolutions culturelles, Olivier Abel ausculte ces dimensions les plus profondes de l’expression humaine. Et tente d’entrevoir les contours d’un horizon susceptible de rassembler dans l’adversité pour préparer des temps très difficiles.

 

La Revue Durable : Vous portez un regard inquiet sur le monde, en particulier sur les réactions aux menaces climatiques et à l’épuisement des ressources.

Olivier Abel : Le monde craque de toutes parts. Et j’ai peur de ceux qui pensent qu’il ne s’agit pas de la simple fin d’un monde, mais de celle du monde. Que ce serait fini, que l’apocalypse serait là. A ces personnes, je dis : « Attention, doucement, ne paniquons pas ! » Nous assistons bien à l’éboulement profond d’un monde, mais pas du monde. Et il n’y a pas lieu de devenir cynique ou de hurler à l’apocalypse.

LRD : Le problème n’est-il pas plutôt que trop peu de gens réalisent que la société dérape, s’éboule, se décompose ?

OA : Il y a vingt ans, j’ai comparé notre situation à celle sur le Titanic. On est inconscient en dépit de la situation qui s’aggrave… Et puis, tout d’un coup, ne va-t-on pas se mettre à paniquer et à faire n’importe quoi ? J’ai autant peur de cette panique que de l’indifférence actuelle. On risque de tomber de Charybde en Scylla.

Changer l’imaginaire

LRD : Quels sont les signes de cette panique latente ?

OA : L’imaginaire religieux a des antennes prophétiques : tout un discours apocalyptique est présent dans l’Islam et le protestantisme, en particulier aux Etats-Unis. Ce discours n’est pas l’apanage de petites sectes, il n’est pas marginal. Il est très présent au cinéma. Les trois quarts des bandes-dessinées racontent des mondes abîmés, détruits. Voyez les mangas des adolescents. Comme Hans Jonas, j’ai le sentiment qu’une gnose est à l’œuvre : un reste de religieux laisse croire que quelque chose va nous tirer de là : la science et la technique, ou alors on ne sait pas quoi – une initiation. Les théories du complot relèvent aussi du discours apocalyptique. Des gens plus lucides que les autres à l’égard de la crise accumulent qui du pétrole, qui des semences…

( La Revue Durable nous a demandé de ne pas mettre
in extenso cet article sur le site)

 

Olivier Abel

Publié La Revue Durable n°36, décembre 2009-janvier 2010
Sous le titre « Une éthique pour de nouveaux horizons »
dans le dossier « Vivre heureux dans les limites écologiques«