Peut-on rajeunir éternellement ?

In vitro, c’est prouvé

Le jour même de la Toussaint, le 1er novembre dernier, des chercheurs français annonçaient avoir découvert le moyen de rajeunir des cellules de centenaires. Coup de tonnerre dans le ciel de l’humanité aux portes de l’immortalité ! Le professeur Jean-Marc Lemaître, responsable de l’équipe Montpelliéraine s’explique : « Nous avons d’abord associé quatre gènes à des cellules issues de patients âgés pour les reprogrammer, sans obtenir de résultats, puis ajouté deux autres gènes au cocktail (NANOG et LIN28). Surprise : les cellules de peau initiales se sont alors transformées en cellules souches pluripotentes, capables de relancer le processus cellulaire de n’importe quel organe, et ont été débarrassées de toute trace de sénescence. Nous avons donc fait coup double, ce qui laisse envisager des applications thérapeutiques importantes pour diverses pathologies dégénératives. » Modeste, il n’en tire pas plus de conclusions. D’autres scientifiques s’en chargent, comme le docteur Laurent Alexandre (1). D’après ce dernier, « l’homme qui vivra mille ans est peut-être déjà né et le bricolage de la vie est sans limite. Tout repose sur nos nouvelles capacités de calcul informatique qui ont récemment permis de mieux comprendre le vivant et de séquencer l’ADN. On peut tabler sur 2030 pour concevoir des cellules immortelles. »

Sur l’être humain, ce n’est pas pour tout de suite

Jean-Marc Lemaître n’est pas si catégorique. « Nous essayons déjà de passer à des tests sur des tissus reconstitués. », précise-t-il. Et avant d’injecter ces cellules de jouvence dans le corps humain, il devrait se passer quelques années, le temps de vérifier qu’aucune pathologie ne soit inoculée. Tel serait, en effet, le risque essentiel… On a dit que les facteurs de croissance utilisés sont inévitablement déclencheurs de cancers. « Erreur, précise Jean-Marc Lemaître. Nous n’avons fait appel qu’à des facteurs géniques, présents dans certains cancers, mais jamais directement responsables de ceux-ci. » Toujours est-il que les mesures de précaution retarderont les applications thérapeutiques.

Pour quelle vision de l’homme ?

A moyen terme, Jean-Marc Lemaître espère que cette découverte permettra d’offrir une vieillesse plus douce à nos aînés. Qui n’en rêve pas comme lui ? Il rappelle aussi que la quête d’immortalité est vieille comme le monde, en témoigne le mythe babylonien de Gilgamesh. L’éthicien Olivier Abel préfère nous ramener à une vision plus modeste de notre condition d’homme. A notre finitude. « Nous sommes en train de trouver le moyen de repousser indéfiniment les limites de la vie, sans réussir à penser sa finalité. C’est à l’image de notre société tout entière, lancée tête baissée dans la recherche d’une croissance sans limite, de l’économie comme de la vie, ce qui dessine une humanité incontrôlable, courant à des conflits destructeurs. J’y vois surtout une pulsion de mort ! Apprenons déjà à vivre avec les personnes âgées, à les entourer plus que nous le faisons et aussi à nous effacer pour laisser la place à d’autres. Avant de nous voir plus grand que ce que nous sommes, acceptons notre vulnérabilité. »

 

1 – Laurent Alexandre, auteur du livre La Mort de la mort (JC Lattès, 2011)

2 – Olivier Abel, auteur de Etre Sage, est-ce bien sage (Editions de l’Atelier, 2008), et Le Oui de Paul Ricœur (Les Petits Platons, 2010)

Sophie Viguier-Vinson

 

Paru dans La Croix en 2011.