« Une poétique de l’action »

Qu’est ce qui rend l’homme capable, et qui augmente sa capacité ? C’est cette question initiale que mon propos voudrait expliciter en déployant trois séries d’indications. D’abord le thème d’une poétique de l’action semble un peu flou : en quel sens une poétique ? Une petite étude de signification sera précieuse pour mesurer son amplitude chez Ricœur, dès ses premiers livres — et pour démontrer que l’on n’y a pas affaire à une sorte de ventre mou de l’argumentation morale. Une seconde difficulté surgit alors, car si la morale exige de penser une règle d’action, ce n’est pas là quelque chose de tellement poétique, et nous sommes embarrassés pour faire le pas entre un registre plutôt prosaïque et notre registre poétique : comment passe-t-on du texte, et éventuellement du texte de la règle, à l’action ? Nous prendrons surtout appui ici sur quelques textes de la période centrale entre La métaphore vive et Du texte à l’action, et sur la théorie discrète mais capitale du « schématisme métaphorique », qui n’a pas assez été remarquée. Et finalement, en quoi ce poétique peut-il toucher à nos capacités concrètes de sentir et d’agir, les refigurer, et les augmenter ? C’est ici Soi-même comme un autre et Le parcours de la reconnaissance qui seront les plus utilisés.

En quel sens une poétique ?

L’intitulé « poétique de l’action », après la poétique de l’espace ou de la rêverie de Gaston Bachelard[1], semble un titre à la fois banal et présomptueux. Il pourrait y avoir une poétique de n’importe quoi, du métro, du plastique. Pourtant nous avons bien chez Ricœur lui-même un livre intitulé, Du texte à l’action. Et plus tôt encore, dans les premières pages du premier volume de sa Philosophie de la volonté, Le volontaire et l’involontaire, il annonce bien son intention d’achever son travail par une « poétique de la volonté » :

« L’achèvement de l’ontologie du sujet exige un nouveau changement de méthode, l’accès à une sorte de « Poétique » de la volonté, accordée aux réalités à découvrir (…) Cette méthode nous a amené à accentuer le (…) hiatus entre la méthode de description de conscience et la méthode d’une Poétique de la liberté. La notion si large et si précise d’action nous paraît avoir son sens plein au niveau d’une poétique ou mieux encore d’une pneumatologie de la volonté, telle qu’on la trouve chez Pascal, chez Dostoïevski, chez Bergson et chez G.Marcel. »[2]

Nous aurions donc trois registres successifs. Une eidétique de la volonté, description de l’acte de vouloir en corrélation avec ce qui est voulu, mais qui suppose de faire l’abstraction de la faute, de la transcendance, de l’amour. Puis une empirique de la volonté, qui lève cette triple parenthèse, pour faire le détour de la symbolique du mal et des ressources non-philosophiques d’une pensée qui n’accède pas à son sujet par une réflexion directe — remarquons que la poétique fait suite à cette symbolique, et que la philosophie repart ici et là du plein d’un monde de langage. Et enfin on accèderait à une poétique de la volonté, dont il n’est pas anodin qu’elle soit mise en correspondance avec le thème de l’amour :

« l’amour des êtres entre eux nous a paru trop solidaire de l’amour des êtres envers l’Etre pour qu’il puisse figurer ailleurs que dans le cadre de la poétique. Le rapport d’une volonté à une volonté, lorsqu’il n’est plus d’imitation, de commandement, de solidarité, de fusion affective ou de cohésion sociale, mais une création amicale par le dedans, fait partie de cette pneumatologie (…) L’autre devient vraiment « toi » quand il n’est pas un motif ou un obstacle à mes décisions, mais lorsqu’il m’enfante par le foyer même de ma décision, m’inspire par le cœur de ma liberté. »[3]

Telle est l’annonce et l’intention superbes de cette « Poétique de la volonté ». Et puis, plus rien. Ricœur n’a jamais rédigé cette poétique. Est-ce un échec ? un abandon ? Sans doute, mais d’abord il nous faut reconnaître dans cet inachèvement, dans cette impasse qui retourne le cheminement vers le plus long détour, une attitude constante de Ricœur, son style même. C’est toute l’ambiguïté de la petite étude de signification que nous menons : la poétique désigne-t-elle une dimension de la réalité, une vérité que l’on pourrait atteindre, ou bien la démarche, la méthode et le chemin qui y conduit ? Qu’est-ce exactement qui a disparu du projet d’une poétique de la volonté ? Ou bien sous quelle forme s’est-elle maintenue ?

En effet le thème ne disparaît pas tout à fait sans qu’on en trouve quelques résurgences. Lorsqu’à la fin du même volume Le volontaire et l’involontaire, il cherche chez Rilke un indice pour une poétique de la liberté, on sent mieux le rythme intime de cette ontologie poétique : ce sera une ontologie discrète, au sens fort du terme. Une ontologie brisée, inaccessible, mais une ontologie selon l’espérance. Une figure limite de la réconciliation de soi et du monde. Une ontologie post-kantienne, si l’on peut dire. C’est ici l’une de mes hypothèses : la poétique désigne une ontologie post-critique.

Ce rythme en non et oui, cette oscillation entre ce qu’il appelle un consentement stoïcien et imparfait et un consentement orphique et hyperbolique, me semble scander en sous main la distance et l’appartenance herméneutique — et donner finalement ce tour poétique qui est le propre de l’herméneutique ricœurienne. On le trouve encore dans ce que j’appellerais volontiers la micro-ontologie poétique de La métaphore vive, où la réalité que la métaphore fait voir est elle même une réalité « tensive », qui n’est pas mais est vraiment. N’est-ce pas une résurgence forte du thème de la poétique que ce travail de la ressemblance métaphorique, entre rhétorique et poétique ? Et n’est-ce pas ce travail qui ouvre la voie à une poétique du récit, de la mise en intrigue[4] ?

Le mot poétique réapparaît en tous cas fortement dans toute la période centrale de l’œuvre de Ricœur, autant dans La métaphore vive, que dans Temps et récit. Et pour ce dernier livre, on le trouve non seulement dès le premier tome, dans la lecture soigneuse de la Poétique d’Aristote, qui prépare justement les grandes analyses de ce que Ricœur appelle la triple mimésis de l’action, mais aussi dans le troisième tome, avec la riposte de la poétique du récit à ce qu’il appelle l’aporétique de la temporalité.

Le cœur de la poétique me semble ici la notion de « configuration », qui est particulièrement développée avec la Mimésis II. La configuration propre à cette Mimésis II se caractérise entre autres par deux traits. D’une part elle tisse ensemble des éléments hétérogènes, disparates : ce disparate (dispersion temporelle, irréductibilité des points de vue narratifs, etc.) est la forme que prend dans le récit l’écart sémantique relevé dans la métaphore. La mise en intrigue serait alors la réduction de cet écart, qui fait de tout récit une « concordance discordante », une composition de l’incompossible. On peut suivre une histoire, dit Ricœur, parce que ses péripéties sont imprévisibles (discordance irréductible) mais acceptables (concordance possible). Le second trait c’est que ces configurations laissent des paradigmes, des « styles de traditionalité », des genres littéraires, des tropes, etc., qui se sédimentent, structurent et enrichissent les attentes des lecteurs. Mais dans le même temps les oeuvres nouvelles (« nouvelles avant de devenir typiques ») sont proprement poétiques en ce qu’elles attestent d’une capacité d’invention qui fait leur singularité. Cette dialectique entre tradition et novation, entre la règle et l’écart, étaye la précédente[5].

L’expression « poétique de l’action » elle-même, que nous avons pris comme intitulé pour cette étude, apparaît à peu près à la même époque dans Du texte à l’action :

« Dans la mesure où la fiction s’exerce dans les bornes d’une activité mimétique, ce qu’elle redécrit est l’action déjà là. Redécrire c’est encore décrire. Une poétique de l’action demande autre chose qu’une reconstruction à valeur descriptive. Or par-delà sa fonction mimétique, même appliquée à l’action, l’imagination a une fonction projective qui appartient au dynamisme même de l’agir. »[6]

Le mot « poétique » qui apparaît ici semble ainsi s’être peu à peu détaché de la trilogie eidétique-empirique-poétique, qui était une trilogie de démarches phénoménologiques, pour se rattacher à une trilogie différente, surgie dans les débats avec les sciences humaines et notamment les disciplines du langage et de la compréhension entre humains. Dans un texte intitulé « Rhétorique, poétique, herméneutique »[7], Ricœur écrit :

« La conversion de l’imaginaire, voilà la visée centrale de la poétique. Par elle, la poétique fait bouger l’univers sédimenté des idées admises, prémisses de l’argumentation rhétorique. Cette même percée de l’imaginaire ébranle en même temps l’ordre de la persuasion, dès lors qu’il s’agit moins de trancher une controverse que d’engendrer une conviction nouvelle. »[8]

Cette inscription résolument langagière des trois disciplines jumelles que sont la rhétorique, la poétique, et l’herméneutique, montre bien que la poétique se situe désormais non au delà, dans un ultra-langage, mais au sein d’un déjà là du langage déposé par l’histoire et les usages antérieurs. Il faudra bientôt ajouter à notre trilogie un « étage » pragmatique. Mais surtout ce que montre ce texte, c’est combien le poétique se situe à un virage : la rhétorique voudrait encore argumenter et persuader sur la base de prémisses acceptables, quand la poétique retourne le problème, et n’hésite pas à bouleverser l’ordre des présuppositions admises, à ébranler l’imaginaire. Par la poétique, on n’est pas condamné à prendre acte d’un imaginaire déjà là, à l’interpréter (ce serait le point de vue herméneutique) : on peut changer l’imaginaire, le modifier. Il y a place pour une imagination poétique.

Le thème d’une poétique de l’action est donc un thème incontestablement ricœurien, et désigne semble-t-il une méthode accordée à un type de réalité, une méthode qui s’appuie sur les ressources du langage et sur la capacité langagière des humains. Ceux-ci sont dotés de la faculté de mobiliser les figures métaphoriques et les intrigues narratives, la fiction et la poésie, non pour s’évader de l’agir, mais s’y retrouver autrement impliqués. Pour achever de donner un sens réglé à cette notion de poétique, c’est ce passage que nous devons mieux examiner.

Comment passe-t-on du texte à l’action ?

Or c’est pour moi le nœud du problème, de l’embarras. Soit en effet on accentue la clôture du texte, d’autant plus qu’il s’agit de textes poétiques, mais alors le texte est sans rapport avec la réalité, particulièrement avec les réalités de l’action. Soit on valorise la dimension performative et prescriptive d’un texte qui fait agir, mais alors le texte se rapproche de la loi et de la règle, ou de commandements généralement peu poétiques. Autrement dit, soit on a des textes qui marchent à vide, sans prise sur le monde, soit on a des textes qui s’imposent aveuglément et sans discussion, sans que puisse s’introduire le moindre jeu de l’interprétation.

Nous avons plusieurs indices pour nous orienter dans cet embarras. La citation rapportée plus haut sur la poétique de l’action s’inscrit dans un texte intitulé « l’imagination dans le discours et dans l’action ». Ce texte commence par une question qui comporte tous les traits de notre question inaugurale :

>« La question à laquelle cet essai est consacré peut s’énoncer dans les termes suivants : la conception de l’imagination mise en œuvre dans une théorie de la métaphore centrée sur la notion d’innovation sémantique, se laisse-t-elle généraliser au-delà de la sphère du discours à laquelle elle appartient à titre primordial ? Cette question relève elle-même d’une investigation de plus vaste portée, à laquelle j’ai donné jadis le nom ambitieux de poétique de la volonté. »[9]

Nous allons le voir, ce qui est visé ici c’est d’abord un virage par rapport à une conception phénoménologique de l’imagination comme pure « neutralisation ». La réduction fait place à une imagination créatrice :

« la fonction neutralisante de l’imagination à l’égard de la thèse du monde est seulement la condition négative pour que soit libérée une force référentielle de second degré. »[10]

Mais c’est aussi une sorte de contrepoint, sinon de contre-pied, par rapport à l’ontologie heideggerienne. Car il y a bien, chez Heidegger, une ontologie poétique qui fait la part belle à une sorte d’imagination transcendantale, racine du pensable comme du sensible, et des diverses figures du temps. Mais justement Ricœur n’a cessé de résister à cette façon de remonter en deçà du schématisme kantien dans une racine commune et de dissoudre l’aporie kantienne de l’inscrutabilité du temps[11]. La voie du texte à l’action ne remonte pas vers une sorte d’imagination transcendantale, qui serait leur commune racine.

Et pourtant ce texte reprend l’idée ailleurs émise qu’on ne passe pas directement du texte à l’action, mais seulement par le biais et l’interprétation de l’imagination :

« C’est dans l’imagination que d’abord se forme en moi l’être nouveau. Je dis bien l’imagination et non la volonté. Car le pouvoir de se laisser saisir par de nouvelles possibilités précède le pouvoir de se décider et de choisir. »[12]

Ricœur le redit dans un passage magnifique, qui fait voir toute l’importance de l’imagination pour l’action :

« Déjà il apparaît que l’imagination est bien ce que nous entendons tous par là : un libre-jeu avec des possibilités, dans un état de non-engagement à l’égard du monde de la perception ou de l’action. C’est dans cet état de non-engagement que nous essayons des idées nouvelles, des valeurs nouvelles, des manières nouvelles d’être au monde. »[13]

L’imagination dont il s’agit ici, on le voit bien, n’est pas une réplique affaiblie de la perception, mais la restructuration d’un champ sémantique par une signification émergente. Parce que l’image poétique rapproche des significations éloignées, elle bouleverse l’imaginaire : c’est la parole qui fraye un chemin à une imagination neuve. On aborde ainsi l’imagination en procédant du verbal vers le non-verbal. Par là on trouve une imagination réglée, c’est à dire une imagination qui refuse de dissocier ou d’opposer la règle et l’écart[14]. C’est ce thème central que l’on trouve tout au long de La métaphore vive, et des travaux qui l’entourent, comme le cours « Métaphore et image » donné le 25 avril 1974 dans le cadre de son séminaire « recherches phénoménologiques sur l’imaginaire » du Centre de recherches phénoménologiques (Archives Husserl, rue Parmentier).

En fait la stratégie de Ricœur, après avoir fait valoir contre Heidegger que l’on ne saurait remonter des concepts vers le schème, puisque le schème dérive des catégories, consiste à cliver et remanier la notion de schématisme à partir de la 3ème critique de Kant, et repartir d’une autre sorte de schématisme, sans concept, pour proposer l’idée d’un schématisme de l’attribution métaphorique. Ce moment me semble un véritable point de bascule dans son argumentation. Parce que l’on respecte l’aporie et l’inscrutabilité du schématisme temporel, on peut se retourner pour apercevoir un schématisme second, qui donne des règles en quelque sorte après coup, et ouvre de nouvelles variations de concepts.

« traitée comme schème, l’image est selon le mot de Bachelard un être du langage. Avant d’être un percept fané, elle est un concept naissant. Autrement dit l’imagination productive, que permet de détecter le jeu de la ressemblance dans la métaphore, consiste dans le schématisme de l’attribution métaphorique (…) une méthode pour engendrer et lier des images (…) susciter un développement réglé d’images, par retentissement dans les champs sensoriels ébranlés »[15].

On retrouve cette idée développée dans La métaphore vive[16], et dans le texte déjà cité sur l’imagination dans Du texte à l’action. Imaginer, c’est d’abord restructurer des champs sémantiques, « voir-comme », dit Ricœur en reprenant une expression de Wittgenstein.

« par là est retrouvé l’essentiel de la théorie kantienne du schématisme (…) En bref, le travail de l’imagination est de schématiser l’attribution métaphorique. Comme le schème kantien, elle donne une image à une signification émergente. Avant d’être une perception évanouissante, l’image est une signification émergente (…) En schématisant l’attribution métaphorique, l’imagination se diffuse en toutes directions, réanimant des expériences antérieures, réveillant des souvenirs dormants, irriguant les champs sensoriels adjacents »[17].

On le voit, il ne s’agit plus de chercher un schématisme transcendantal, une imagination radicale à la façon de Heidegger. Mais de mesurer les effets d’un schématisme de la métaphore, d’un schématisme proprement poétique, comme surgi de la parole, d’un schématisme second en quelque sorte généré par la configuration poétique. Ce retournement, ce virage radical[18], me semble décisif de la percée que propose Ricœur en direction non seulement d’une herméneutique poétique, mais d’une philosophie de l’agir et du sentir, d’une philosophie de l’homme capable. La dernière partie de ce travail sera consacrée à cette faculté d’ouvrir ou d’augmenter le schématisme de l’action.

Mais auparavant, pour vérifier cette figure du passage du texte à l’action, je voudrais maintenant l’établir sur le thème apparemment le moins propice : non la poésie de l’amour, mais la prose de la justice. Qu’est-ce qu’une règle d’action[19]? Or nous devons résister à la tentation de trop « moraliser » la raison pratique, de la réduire à l’obligation morale, à « la conformité pour le devoir sans égard pour le désir », et de « construire la Critique de la raison pratique sur le modèle de la Critique de la raison pure », en cherchant une sorte d’universalité a priori[20]. Est-ce une raison pour abandonner l’idée de règle ? Serait-elle définitivement liée à une conception scientifique de la loi, comme indifférente aux désirs, aux efforts et aux sentiments de ceux qu’elle fait agir malgré eux ? Ou bien encore serait-elle entendue aujourd’hui comme trop normative, trop liée à une conception juridicisante de la morale réduite à des questions d’obligations, de devoirs et de dilemmes, d’application de règles les plus généralisables possible ?

Ricœur n’en pense rien. Au contraire, il y a encore d’autres significations possibles de l’idée de règle, et pour commencer l’innovation sémantique de la métaphore elle-même n’est pas sans règle — l’écart même n’est pas sans règle seconde. C’est justement pourquoi « l’innovation se produit dans le milieu du langage », et Ricœur annonce d’emblée sa confiance dans « une imagination qui produit selon des règles », au sein du langage. C’est toute la question de l’innovation, qu’elle soit métaphorique ou narrative :

« Si maintenant on s’interroge sur les raisons de ce privilège de la métaphore et de la mise en intrigue, il faut se tourner vers le fonctionnement de l’imagination productrice et du schématisme qui en est la matrice intelligible. Dans les deux cas, en effet, l’innovation se produit dans le milieu du langage et révèle quelque chose de ce que peut être une imagination qui produit selon des règles. Cette production réglée s’exprime, dans la construction des intrigues, par le passage incessant entre l’invention d’intrigues singulières et la constitution par sédimentation d’une typologie narrative. »[21]

Ensuite la règle morale kantienne sera en quelque sorte réhabilitée contre elle-même, dans Soi-même comme un autre, au moment du passage de la norme morale à la sagesse pratique. Ricœur y remarque que c’est la rigueur même de la norme morale qui nous fait voir ses propres limites[22]. C’est elle qui aiguise, même sans le vouloir, un conflit tragique de devoirs et d’impératifs universalisables aussi légitimes les uns que les autres, qui n’apparaîtrait pas sans elle. La sagesse tragique, alors, parce qu’elle renonce à apporter une solution moralement satisfaisante et justifiée au problème, consiste à trouver des arrangements acceptables au plan d’une conflictualité plus ordinaire, moins dramatisée. La règle n’apporte donc pas la solution, mais aiguise la sensibilité au toujours possible dissensus. Elle devient une pédagogie, qui nous sort du tragique en nous montrant le tragique toujours possible. La visée éthique doit passer par le crible de la norme morale pour éprouver à quel point elle peut faire souffrir autrui, fût-ce en cherchant le bon. Lorsque la norme conduit à des impasses, il faut certes recourir à une sorte d’interprétation de son intention en situation, et c’est la sagesse pratique qui peut nous conduire sur ces voies où il n’y a plus rien de général à quoi s’accrocher. Là encore, cependant, c’est parce qu’il y a des règles et des concepts qu’ils peuvent se brouiller, parfois jusqu’à inverser la syntaxe normale des choses qui importent[23].

Mais surtout on retrouve l’imagination en rapport avec la règle, dans la lecture que Ricœur propose de la Critique du jugement de Kant, relue avec Hannah Arendt comme proposant un modèle d’universabilité politique différent[24]. En effet l’imagination permet de faire comme si l’on avait déjà la règle de la solution, et de chercher à retrouver après coup « la règle appropriée sous laquelle placer l’expérience singulière. Le jugement est seulement réfléchissant » (Le Juste, p. 144). On juge ici sans règle a priori, sans concept, et sans préjuger une universalité préalable, mais non sans chercher après coup à repérer la règle employée, ni sans espérer pouvoir partager ce jugement avec quiconque. Cette règle « seconde » (pour la distinguer de règles a priori) ne s’impose pas de l’extérieur, mais se forme « par le dedans » du désir et du vouloir, pour reprendre la formule de Ricœur citée plus haut, comme « une création amicale ». Il y a donc bien ici une sorte d’universalité, puisqu’il y a une forme de communicabilité espérée, mais très différente d’une universalité de type scientifique ou même juridique : une universalité résistible, incertaine, à la merci d’autrui.

« Cela constitue une avancée d’une extrême audace dans la question de l’universalité, dès lors que la communicabilité ne résulte pas d’une universalité préalable. C’est ce paradoxe de la communicabilité instauratrice d’universalité, qu’il est tentant de retrouver dans d’autres domaines que celui de l’esthétique » (ibid. p.148).

C’est important pour notre sujet, car ce jugement réfléchissant empêche la philosophie kantienne de l’agir historique de verser dans une philosophie hégélienne où une dialectique excessive envelopperait trop aisément le hiatus kantien entre le désir et le respect d’autrui, entre l’impératif catégorique et la visée d’un bonheur qui n’est jamais un dû. Et c’est bien la place d’autrui dans mon agir et mon sentir, dans mon schématisme même, qui est ainsi comme entretenue. La prose de la justice, bien autant que la poésie de l’amour, a besoin du travail de l’imagination, et d’une imagination réglée, pour passer du texte à l’action.

Une poétique du sentir et de l’agir

Nous rencontrons ici notre troisième embarras : en quoi cette imagination poétique peut-elle toucher à nos capacités concrètes de sentir et d’agir, les refigurer, et les augmenter ? En quoi n’est elle pas réduite à un apport certes sympathique mais quand même marginal ? Il nous faut repartir du fait que la poétique n’est pas fermée, et ouvre sur le réel mais autrement. On a déjà indiqué qu’elle nous déplaçait, au sens où elle nous faisait voir la même chose sous des angles inédits, nous rendait sensibles, et aussi où elle nous préparait en refigurant le monde de l’action.

C’est d’abord que l’imagination dont il s’agit ici n’est pas une perception fanée et évanouissante, une représentation affaiblie des choses absentes. Pourquoi ? Parce que « l’imagination invite à se mettre à la place de tout autre (…) proche ou lointain » (Le Juste, p. 157). Ricœur commente ici le très beau paragraphe 40 de la Critique du jugement sur un mode de pensée élargie, qui « projette le regard critique au-delà de la proximité sociologique ». Dans Le parcours de la reconnaissance, il cite Rousseau en exergue de la troisième étude : « sitôt qu’un homme fut reconnu par un autre pour un être sentant, pensant et semblable à lui, le désir ou le besoin de lui communiquer ses sentiments et ses pensées lui en fit chercher les moyens »[25]. Il est essentiel à l’agir humain de sentir que l’autre sent, d’éprouver ce besoin de partager, de communiquer. On touche ici la fonction éthique de l’imagination, comme faculté de se figurer, comme « capacité d’un sujet à se transporter dans une vie psychique étrangère »[26], écrit Ricœur commentant Dilthey, à propos de l’entrecroisement de l’histoire et de la fiction. La fiction éclaire l’histoire, et l’oblige à se figurer les choses de façon sensible ; mais elle le fait de façon réfléchissante, sans prétendre suppléer à l’histoire, et nous laisser croire que nous y étions vraiment, que nous y sommes vraiment — à la place de l’autre. Ce premier thème, remarquons le, peut être rapproché de celui de l’aperception analogique selon Husserl, souvent commenté par Ricœur : les autres aussi peuvent dire je.

« la transfert en imagination est à l’aperception analogique ce que le schématisme est à l’expérience objective selon Kant. Cette imagination est le schématisme propre à la constitution de l’intersubjectivité dans l’aperception analogique (…) comme genèse de connexions nouvelles »[27].

Ayant ainsi étayé de diverses façons le rapport d’une poétique de l’action avec les réflexions sur la norme morale, même la plus prosaïque, entendue comme faculté de faire place à autrui, je voudrais achever ce parcours en rouvrant l’arc entier de l’éthique de Ricœur, en amont de la norme morale, vers la visée éthique, et en aval, vers la sagesse pratique. Et je voudrais montrer ici et là l’importance de ce que nous continuerons à appeler « poétique » faute d’un mot aussi large et aussi tendu dans ses significations.

En quel sens peut-on parler d’une éthique poétique ? d’une poétique de la visée éthique ? Ce lien du poétique à l’éthique me semble explicite chez Ricœur :

« Ce qui est en effet à interpréter dans un texte, c’est une proposition de monde, d’un monde tel que je puisse l’habiter pour y projeter mes possibles les plus propres. C’est ce que j’appelle le monde du texte, le monde propre à ce texte unique. (…) Nous l’avons dit, une récit, un conte, un poème, ne sont pas sans référent. Mais ce référent est en rupture avec celui du langage quotidien ; par la fiction, par la poésie, de nouvelles possibilités d’être-au-monde sont ouvertes dans la réalité quotidienne ; fiction et poésie visent l’être non plus sous la modalité de l’être-donné mais sous la modalité du pouvoir-être. Par là même, la réalité quotidienne est métamorphosée à la faveur de ce que qu’on pourrait appeler les variations imaginatives que la littérature opère sur le réel »[28].

Dans ce texte, on voit que la fiction et la poésie, avec leurs configurations narratives ou métaphoriques propres, ne tombent pas sur des sujets lecteurs passifs, mais sur des sujets qui ont toujours déjà des attentes, des capacités, des possibilités, ce que Ricœur appelle dans son étude de la Mimésis I des préfigurations de l’agir, la précompréhension des structures de l’action et des passions — et aussi la précompréhension des structures de la temporalité qui forment la grammaire des travaux et des jours[29]. Or cette précompréhension elle-même n’est pas entièrement thématisable, parce qu’on ne peut thématiser tout ce qui se trouve en arrière de nos usages. Il y a des métaphores déposées, toute une épaisseur de préfiguration qu’on ne peut pas entièrement expliciter, et qui résistent d’ailleurs à l’argumentation. C’est d’ailleurs que cet arrière-plan n’est pas une structure a priori et immuable, mais un ensemble d’habitus dans lequel la visée éthique a pris forme, et qui est modifiable par leur pratique même. Plus radicalement encore ce qui est réveillé ici c’est un désir, une faculté première de dire « oui, me voici, je peux », une approbation, une affirmation originaires. C’est à cela que l’éthique commence par faire crédit.

Justement la poésie, le récit, la fiction rouvrent en nous un schématisme qui nous rend capables de sentir, d’agir, d’habiter le monde. Elles rouvrent nos possibles les plus propres, nos visées et capacités éthiques, au sens le plus radical de ce mot. Elles nous font sentir des capacités enfouies, des préfigurations de l’agir endormies. On pourrait reverser à ce compte d’une poétique de nos capacités éthiques tout ce que Ricœur décrit de « l’initiative ». La faculté d’agir comme faculté de commencer, de faire arriver quelque chose : car le faire fait que la réalité n’est pas totalisable. La condition de l’action qu’est le fait pour un sujet d’être un corps capable, sujet de divers pouvoirs-faire. L’intervention de l’un de ces pouvoirs-faire dans un monde sur lequel s’appuyer, un système de ressources possibles — et l’agir se mêle ainsi au cours du monde. La faculté enfin de s’imputer, de façon réflexive, la responsabilité d’une action[30].

Ce sont donc des facultés bien concrètes qui sont touchées, rouvertes par la poétique de l’action. On pourrait reprendre d’ailleurs tout le schéma de cette phénoménologie de l’homme capable qui organise Soi-même comme un autre selon une véritable formation du sujet capable: je peux dire, je peux faire, je peux raconter et me raconter, je peux me tenir pour responsable ou promettre. Ces divers profils du sujet parlant, agissant, narratif, éthique, sont autant de variations imaginatives, de métamorphoses, non du réel ici, mais du sujet lui-même.

« la subjectivité du lecteur n’advient à elle-même que dans la mesure où elle est mise en suspens, irréalisée, potentialisée (…) La lecture m’introduit dans les variations imaginatives de l’ego. La métamorphose du monde, selon le jeu, est aussi la métamorphose ludique de l’ego »[31].

Et il reprend plus loin, dans son analyse des rapports entre la fiction et le pouvoir-faire, « je pourrais », « j’aurais pu », où il prolonge les analyses de Austin :

« c’est dans l’imaginaire que j’essaie mon pouvoir de faire, que je prends la mesure du je peux. Je ne m’impute à moi-même mon propre pouvoir, en tant que je suis l’agent de ma propre action, qu’en le dépeignant à moi-même sous les traits de variations imaginatives sur le thème du je pourrais »[32].

C’est enfin dans cet esprit radicalement éthique, me semble-t-il, qu’il reprend à Amartya Sen, dans le Parcours de la reconnaissance, l’idée ou plutôt l’exigence de « garantir à chacun une capacité d’agir minimale »[33], la faculté et la possibilité réelle de montrer de quoi il est capable. La poétique de l’action autorise chacun à se montrer, à estimer et essayer ses capacités d’agir, ses possibles d’être les plus propres. Elle ouvre et prépare le chemin de l’agir.

Achevons d’indiquer l’arc entier de l’éthique de Ricœur. Nous avons exploré le schématisme d’une configuration propre à une règle morale qui ne se confondrait pas avec une loi juridique. En amont de celle-ci nous venons d’explorer les préfigurations de l’agir, entendues non comme des structures immuables mais comme des figures de l’action dont une poétique seule peut rouvrir le schématisme, le désir, et nous rendre vraiment capables. En aval maintenant nous nous retournons vers une « refiguration » plus large encore de l’agir. Dans la citation donnée plus haut où Ricœur parlait d’un libre-jeu avec des possibili­tés, où nous essayons des idées nouvelles, « des manières nouvelles d’être au monde » (Ibid. p. 220), on voit bien que la poétique de l’action ne se borne pas à rouvrir nos capacités d’action enfouies, mais nous en propose de nouvelles, à la hauteur sans doute des situations inédites pour lesquelles nous sommes irréductiblement impréparés.

De même que nous parlions d’éthique poétique, il me semble possible de parler ici de « sagesse poétique » — le lecteur s’en aperçoit : je poursuis mon tricotage des thèmes de la préfiguration, de la configuration et de la refiguration, proposés dans l’étude de la triple-mimésis de Temps et récit, avec les thèmes de la visée éthique, de la norme morale, et de la sagesse pratique proposés dans Soi-même comme un autre. En quel sens une sagesse poétique ? Et en quel sens cette refiguration de l’action prépare-t-elle une refiguration du monde par le biais de l’action ?

Il s’agira d’abord d’une poétique de l’improvisation. La sagesse pratique, à la différence de la norme morale, ne prétend plus répondre pour tous les cas semblables, en toutes circonstances. Les situations ne sont que quasi-semblables, et il faut une certaine imagination pour improviser une réponse chaque fois un peu différente. Même un jugement « juste », devant les cas insolites ou rebelles, part toujours de l’écart entre deux versions, deux droits dont on ne sait s’ils sont compatibles. Comme s’il n’y avait pas de langage pour exprimer cette situation qui soit acceptable pour tous. L’intervention du jugement est alors quasi-poétique : elle reconstruit une perti­nence juri­dique, refait du sens et, par là, fraye une nouvelle voie, une nouvelle représenta­tion de la réalité. C’est le rôle des tribunaux que d’être ces « instances publiques qui ont autorité pour construire la nouvelle cohé­rence requise par les cas insolites »[34]. Il y aurait presque ici une poétique du compromis, entendu comme un enchevêtrement inédit de solutions conçues jusque là comme incompatibles. On le voit a fortiori, dans ce perpétuel semblable et ce perpétuel inédit qu’est la vie quotidienne, nos choix sont toujours un peu provisoires, improvisés, soumis à la possibilité de la rupture, à la menace de l’incertitude. Et la sagesse se montrera à sa capacité à « passer à autre chose », à ne pas s’accrocher à un argument, à une question ou à une solution.

Il s’agira ensuite d’une poétique de la proximité et de la singularité de l’agir. En effet la sagesse pratique survient, à l’issue du conflit tragique, à partir du moment où l’on a renoncé à généraliser, à énoncer des règles générales. Le rideau est tombé, on démaquille les acteurs qui se laissent faire, on range les décors, on balaie le théâtre. On n’est plus dans la représentation des grandeurs, des règles et des principes, mais dans l’entretien d’un monde humain par la sollicitude, le soin, l’attention à ce qui est proche, à nos pieds en quelque sorte. Examinant les conflits qui apparaissent en bioéthique à propos de la « vie commençante » et de la « vie finissante », Ricœur écrit : « La sagesse pratique consiste à inventer les conduites qui satisferont le plus à l’exception que demande la sollicitude en trahissant le moins possible la règle »[35]. Dans cette invention constante, la sagesse pratique est une sollicitude pour le petit, le singulier — et cette proximité ne se réduit pas au visage du proche, mais pour Ricœur se maintient jusque dans une sorte d’anonymat. Nous avons dans les relations impersonnelles et anonymes une sorte de proximité, irréductible à nos liens personnels, et qui nous engagent tout autant envers la singularité des êtres. Même là, on n’agit qu’au travers de singularités.

Il s’agira enfin d’une poétique du sensible, au sens où la sagesse pratique sait la vulnérabilité des agents : pas seulement celle des faibles, des petits, mais aussi de ceux qui se croient ou qui sont réputés comme forts, actifs, responsables. Il ne suffit pas de redonner aux faibles une capacité d’agir, il faut redonner aux forts la faculté de sentir, d’être passifs à leur tour. Au fond la sagesse pratique est une sensibilité, au sens où son horizon est de donner simplement aux humains la possibilité de sentir ce qu’ils font. Cela suppose d’élargir le spectre du sensible, de rendre les sujets sensibles au-delà des catégories établies. Seule une poétique de la sensibilité peut nous donner des facultés de sentir neuves, à la hauteur de la puissance de notre agir. Il ne s’agit pas seulement ici de trouver les formes d’un équilibre réfléchi entre des arguments pondérés par la phronèsis, mais les formes d’un équilibre proprement sensible, d’un équilibre entre ce que nous ressentons comme important. Comme sensible, justement.

Concluons. La refiguration du monde de l’action passe, on la vu, par le schématisme de la métaphore ou du récit : « Dans une veine encore kantienne, il ne faut pas hésiter à rapprocher la production de l’acte configurant du travail de l’imagination productrice »[36]. Mais ce schématisme poétique, dans la mesure où il est actualisé et comme incorporé au lecteur par son acte de lecture ou de relecture même, ouvre en lui des neuves possibilités d’être au monde que ne comportaient pas son schématisme de préfiguration initial. Il s’agit d’augmenter son schématisme, d’élargir les compossibilités de son schématisme, sa capacité à interpréter, à percevoir et à agir dans des contextes inédits. Il se pourrait que cette faculté concrète de changer d’habitude devienne vitale dans certains contextes. Seule une poétique du sentir et de l’agir, figurant une autre façon d’habiter le monde, pourrait changer nos images de la vie bonne et accomplie — et s’il nous faut un jour changer nos formes de consommation, il faudra bien bouleverser notre imaginaire.

Cette poétique de l’action touche peut-être à l’amour — tardivement, on le voit : il ne faut pas trop vite en venir à l’amour. Ici nous sommes loin de la prose de la justice. Mais la poétique de l’amour n’est pas simplement idyllique, elle ne cesse de travailler à brouiller les registres. Même le commandement « toi, aime-moi », du Cantique des Cantiques traduit par Rosenzweig, est un commandement hyperbolique, un commandement métaphorique. Cette poétique de l’amour travaille me semble-t-il sans cesse, chez Ricœur, sur les deux bords du langage. D’un côté, elle rappelle l’impossible singularité de nos catégories : « c’est parce que nous parlons et pensons par concepts que le langage doit en quelque sorte réparer la perte que consomme la conceptualisation »[37]. Il faut des métaphores vives pour faire voir les singularités que le langage laisse sur ses bords. De l’autre côté, elle rappelle l’impossible universalité. Nous ‘’avons donc pas accès à l’universel autrement que dans un long débat, à peine ébauché, entre ce que Ricœur appelle des « universaux en contexte »[38], qui sont des universels encore métaphoriques, pris dans les formes d’une langue et d’une culture, et les travaillant sur les bords. C’est une erreur de croire que l’on puisse accéder à l’universel de plain-pied.

Comme l’écrivait Ricœur dans un texte de 1954, « le socius et le prochain » : « le thème du prochain opère donc la critique permanente du lien social : à la mesure de l’amour du prochain, le lien social n’est jamais assez intime, jamais assez vaste »[39]. Sous le travail du schématisme poétique, le langage du sentir et de l’agir est comme déplacé vers ce qui est trop singulier, trop proche, et vers ce qui est trop vaste, trop ample pour lui.

Olivier Abel

Publié dans « L’homme capable, autour de Paul Ricœur »,
Paris, Rue Descartes, n°53 bis Hors série, novembre 2006.