Éloge des vœux.

Voici l’an neuf, et le jour des grandes, des bonnes résolutions. Voici venu le temps des vœux. Mais nous arrive-t-il vraiment de faire des vœux ? Nous disons « meilleurs vœux », mais nous n’osons rien leur confier à contenir de précis ! Cela reste une invocation vague, qui ne désigne rien de solide. Les vœux ont-ils encore pour nous, qui sommes si désillusionnés, un peu de crédibilité ? C’est bien sûr qu’il y a trop eu de « vœux pieux », et que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Depuis nos existences individuelles jusqu’aux grandes orientations de nos sociétés, combien de vœux impuissants ! On voudrait changer d’habitudes, remettre en tête de notre emploi du temps un talent que nous laissons à l’abandon, des amitiés que nous avons délaissées ; on voudrait que tous les SDF se voient réhabilités dans leur capacité d’habiter ;  on voudrait inverser la fatalité des modes de production et de consommation qui ruinent les équilibres planétaires. Que sais-je encore ? Mais de tels vœux nous retomberaient dessus, comme des promesses trop lourdes.

Faut-il pour autant se mettre en boule et ne plus rien souhaiter, dans la crainte que le vœu se transforme en maléfice? Est-ce une raison pour ne plus risquer le moindre vœu ?  Que serait un monde où plus personne ne formulerait aucun vœu, aucun souhait, aucune intention, aucune promesse, aucun désir ? Je veux ici faire l’éloge du vœu, et mon métier de moraliste est moins d’énoncer des règles que de formuler des vœux, de donner aux autres le désir d’imaginer le possible et le préférable, et de faire ensemble des vœux.

Sur le plan éthique le plus fondamental, déjà, l’orientation du désirable, du souhaitable, de ce qu’on pourrait appeler la « bonne volonté », est beaucoup plus important que nous ne le croyons. Je veux dire cette orientation du vouloir en deçà de toute action, sans rien faire que de juste « vouloir », « désirer », « penser ». C’est cette orientation générale de nos valeurs qui détermine à terme l’orientation réelle de nos inventions techniques comme de nos productions artistiques, l’orientation réelle du gros paquebot de nos sociétés. Si vraiment nous avons changé l’orientation générale de nos vœux, nous verrons peu à peu nos existences et nos sociétés prendre le virage qui correspond. Cela n’a rien de magique : le noyau éthique est le cœur battant des civilisations.

Mais dans tout vœu, il se mêle à la volonté pure quelque chose comme un simple appel, une prière. Le vœu est en effet aussi l’acceptation que nous ne pouvons pas tout faire tout seul, que l’essentiel n’est pas d’agir, que l’essentiel n’est pas notre œuvre. Le vœu correspond au « sabbat », à ce désoeuvrement par lequel mon souhait, mon désir, ma volonté même, ayant lancé cet appel, se retire pour laisser place à d’autres, pour entendre les vœux des autres, et pour  laisser ces autres vœux modifier les miens. Au cœur de tout vœu il y a ce vœu mutuel qui dit : « que ta volonté soit faite », ou même seulement « que ta volonté soit mienne ».  D’être touché au cœur de notre vouloir par le vouloir des autres, quel plus beau vœu pour l’an nouveau ?

Midi-Magazine sur la radio Fréquence protestante
Vendredi 1er janvier 2010

 

Olivier Abel
(merci de demander l’autorisation avant de reproduire cet article)