« Le divorce, à quoi bon ? »

Pourquoi tant de divorces ? Son inflation actuelle n’a d’égale que sa dévaluation, comme si divorce et mariage n’avaient guère d’importance. On les facilite et les banalise, sous l’impératif du consentement mutuel. Le couple n’est plus qu’une affaire privée, un « projet » parmi d’autres. Le seul débat qui nous passionne, c’est la filiation, et les frêles épaules de nos enfants doivent supporter le poids de notre besoin de durabilité. Mais ne sous-estimons nous pas la gravité de ce que nous faisons collectivement subir à nos enfants ? Nous sommes très sensibles aux violences sexuelles, mais bien insensibles à d’autres souffrances. Et les divorces eux-mêmes sont souvent ravageurs, et ont sans doute des effets non négligeables jusque sur la stabilité économique de nos sociétés.

Quelle superbe invention, pourtant ! Dans une Genève submergée de réfugiés, Calvin justifie le divorce et le remariage, en donnant aux femmes un droit égal aux hommes. D’ailleurs le divorce a libéré les femmes et la conjugalité jusque là subordonnées à la filiation. Le Paradis perdu de John Milton, le poète de la révolution puritaine, raconte l’histoire d’Adam et Eve, et sa Doctrine et discipline du divorce (1644) montre qu’on ne peut se lier que si l’on peut se délier, que le mariage est une conversation heureuse et sincère, une libre fidélité. C’est encore ce que pensait Roland de Pury. J’irai jusqu’à dire que le divorce et le mariage moderne, je veux dire la conjugalité comme alliance, comme accord libre et égal, ont été inventés ensemble.

Ils sont peut-être en train de disparaître ensemble. Pourquoi ? Dans une société qui luttait contre la servitude, on attendait du divorce l’émancipation. Mais on a l’exclusion, le nombre croissant de ceux qui sont « jetés ».  Alors comment rester ensemble, quand il est si facile de se séparer ? Il faudrait peut-être repartir de l’idée que le mariage est autre chose que ce petit consentement très privé auquel nous l’avons réduit : c’est un pacte, une alliance au sens à la fois civique et théologique du terme. Et c’est aussi l’acceptation du désaccord, la capacité à soutenir un désaccord durable et même heureux. Après tout le couple du Cantique des cantique s’appelle sans jamais se trouver complètement…

Olivier Abel, Le mariage a-t-il encore un avenir ? Paris : Bayard, 2005.

Olivier Abel

Paru dans le mensuel Bonne Nouvelle