« Approche philosophique de la notion de temps »

Je propose dans cet exposé quatre séries de petites touches sur le temps : tout d’abord l’histoire de la philosophie du temps, ou plutôt quelques figures du temps au long de cette histoire ; j’évoquerai ensuite quelques-uns des problèmes que nous rencontrons aujourd’hui avec le temps, et en particulier avec le temps collectif ; puis je brosserai une petite métaphysique du temps, une petite explication générale du temps ; et enfin je terminerai par une approche temporelle de l’éthique, une petite éthique du temps.

1 – Historique de la notion philosophique du temps.

On pourrait dire de la philosophie, au sens très large, qu’elle ne sort pas de rien, qu’elle sort de la mythologie. Hésiode racontait qu’il y a eu une race d’or, d’argent et puis de fer, il développait l’histoire du temps comme dégradation, perte. Ici le temps détruit peu à peu. Et pour Pythagore le temps entendu comme rythme, comme mesure, comme arithmétique, est le chiffre du monde et de l’âme.

Il existe d’autres sources non grecques qui sont importantes et je ne prendrai ici qu’un seul exemple, celui des sources bibliques. On a trop souvent opposé d’un côté le temps grec qui aurait été cyclique et le temps biblique qui aurait été linéaire. Dans le temps biblique il y a toutes sortes de figures : des figures prophétiques avec un temps de l’imminence, de l’urgence, des figures de la permanence avec une loi qui est toujours la même et qui crée une sorte de structure différenciée du monde, ou bien enfin des figures de la sagesse qui nous rapportent à un temps quotidien.

Si l’on revient à la littérature et aux mythes grecs, on peut opposer un temps tragique qui est un temps fatal, un temps de l’irréversible, à un temps comique où tout est toujours réversible. Il y a d’ailleurs une troisième figure du temps très importante dans l’ensemble des conceptions du temps, et très répandue, que je qualifierais d’épique, qui est une figure narrative : part d’une situation initiale, on passe par les vicissitudes des épreuves et des pertes, et l’on retrouve un temps final restauré.

Parlons maintenant d’une autre opposition, plus philosophique déjà, entre le temps du monde et le temps du sujet. Certains philosophes comme Aristote, et dans une certaine mesure Platon, parlent d’un rapport au temps cosmologique, cosmique, alors que d’autres comme Saint-Augustin pensent qu’il s’agit d’une question subjective et que peut-être, finalement, le temps n’existe pas : pour lui le temps n’est qu’une distension de l’âme, parce que je ne connais le passé que par la mémoire, le futur par la crainte, l’espoir ou l’anticipation. Le passé et le futur ne sont d’ailleurs que des distensions de mon âme présente. Ces réflexions de Saint-Augustin anticipent les réflexions ultérieures de Heidegger, philosophe contemporain récent qui développe une conception du temps que l’on peut dire radicalement subjective ; et cette différence entre un temps objectif et un temps subjectif a déterminé dans l’histoire de la philosophie une constante oscillation entre l’un et l’autre.

Paul Ricœur a développé des figures du temps intermédiaires ou mixtes, à la fois subjectives et cosmologiques, et d’abord un temps historique dans lequel il y a des dates et un calendrier qui font le lien. Ainsi le temps historique est à la fois un temps inscrit dans un calendrier cosmologique, un temps du monde, physique, géographique, et en même temps, c’est un temps subjectif, un temps vécu, un temps dans lequel des points de vue subjectifs divers se rencontrent ou s’éloignent ; il n’y a pas un seul temps, il y a des temporalités, des registres temporels différents et il faut accepter à la fois leurs discontinuités et leur pluralités.

Mais on a d’autres polarités envisageables, et pour schématiser on trouve l’opposition entre Kant et Hegel, avec d’une part une conception statique du temps, sorte de cadre qui est toujours le même, et d’autre part une conception dynamique et dramatique du temps comme dialectique. Plus profondément sans doute l’histoire de la philosophie est structurée entre un temps du sujet et du monde vécu sur le mode de la durée, comme on le trouve chez Bergson, mais aussi chez Nietzsche et Schopenhauer, sur le mode de la volonté de vivre, du désir de vivre, de la poussée vitale, de la durée du vouloir vivre, où le temps est une sorte de continuum, un processus de durée. Et puis en face une conception du temps comme rupture, comme discontinuité, comme coupure. On trouve par exemple chez Gaston Bachelard une réflexion intéressante sur le temps comme rythme, mais il ne peut y avoir rythme que s’il y a discontinuité, les choses n’existent pas continuellement, elles n’existent que par leurs rythmes et les rythmes sont tous différents. Whitehead également développe l’idée qu’en son fond la réalité est process, suite d’apparitions disparaissantes, mais c’est peut-être une synthèse entre la durée et le rythme.

Puisque j’ai procédé par oppositions simplistes, une dernière mérite d’être particulièrement remarquée. La conception antique du temps, depuis avant Platon et d’une certaine manière jusqu’à Rousseau, le concevait comme une lente destruction, une dégradation, une entropie, une perte : on a beau tenter de retrouver l’origine parfaite, on n’y parvient pas, les copies sont toujours moins bonnes que le modèle. Or peu à peu la conception du temps s’est inversée, la copie peut être meilleure que le modèle, le temps n’est plus uniquement de la dégradation, il peut être formateur, créateur, et se montrer sous le jour d’une durée créatrice, une évolution créatrice comme le dit Bergson. La conception du monde s’inverse alors complètement : autrefois le monde était tout entier vivant, et pour les grecs le monde était la vie et la mort alors était un problème, une énigme. Mais le mystère aujourd’hui ce n’est pas la mort, on sait que la mort est partout, que les vastes espaces sont inertes et courent au refroidissement, au désordre, à la poussière : le mystère aujourd’hui c’est la vie, c’est cette complexification que manifeste la vie, le vivant.

2 – Expériences du temps aujourd’hui.

Mais revenons à nous, aujourd’hui. Quelles sont nos expériences du temps ? Faisons un lien avec le bref historique précédemment développé : je crois nous avons actuellement peur de l’entropie, de la dégradation, du fait que le temps détruise. Nous voulons toujours plus de complexité, de complexifications, de possibilités de choix, de croissance, de développement. Nous sommes dans un temps de l’augmentation, et nous estimons qu’il n’y a de la vie que parce qu’il y a de la croissance, de l’intensification. Or dans une société où le nombre de connexions augmente sans cesse, le problème est que pour continuer d’exister, il faut entretenir constamment les connexions, envoyer des messages à tout le monde — et comme on connaît de plus en plus de monde, il faut envoyer de plus en plus de messages et en recevoir de plus en plus, et l’on comprend aisément qu’il y a des limites, car on ne peut pas perpétuellement entretenir toutes les connexions et en ajouter de nouvelles.

Dans un société cependant la confiance repose sur un sentiment de durabilité, le fait que le monde dure plus que moi, plus que nous, et notamment les humains ont toujours eu besoin d’institutions durables, comme un théâtre plus solide que nos existences éphémères. Or nous sommes plongés dans une société qui délaisse ces institutions pour des connexions horizontales multiples (tous les liens mais aussi leurs supports techniques, déplacements, communications, e-mails, téléphone etc..), qui sont essentielles au lien social, mais soumis à une accélération des connexions importante pour notre perception un peu nerveuse du temps.

Or, deuxième remarque, il y a une inégalité dans le rapport de chacun au temps. Dans le même contexte, aujourd’hui, on rencontre à la fois des gens de plus en plus pressés, branchés, stressés, rapides, obligés d’être rapides, et d’autres condamnés à la lenteur, à avoir peu de connexions. D’où un terrible conflit dans le traitement du temps : une minute pour quelqu’un peut correspondre à dix heures pour quelqu’un d’autre, et ce rapport-là, qui est presque un coût du prix du temps pour les uns et les autres, est insupportable. On a coutume de dire que le temps c’est de l’argent. Et cela a existé, le temps était payé à l’heure, ou à la pièce, mais maintenant on est dans une société de connexions, on a changé d’échelle dans nos rapports au temps et dans l’injustice de la répartition du temps, entre ceux dont le temps est inutile, presqu’obligés de tuer le temps, et ceux qui vivent un émiettement total.

Cette accélération est due à un phénomène technique très important. On accélère la vitesse, on accélère les transports, les déplacements, on se déplace de plus en plus vite, les connexions sont de plus en plus fréquentes et l’on finit par trouver cela normal, incontournable, mais il y a une limite humaine due à la finitude humaine, à la finitude physique et psychique . Et ce n’est pas un hasard si, actuellement, des gens très rapides, très responsables, très branchés, très compétents « craquent » brutalement et sombrent littéralement. Il faut être conscient que nous sommes dans une situation où l’évolution technologique dépasse notre condition humaine.

Le temps aujourd’hui est en train de devenir un temps inhumain, comme si un processus technique était en train de manager nos cerveaux, nos corps, nos relations, notre emploi du temps, la forme entière de notre société, et cette accélération va sans doute trop vite pour nos capacités. Il ne s’agit pas d’être apocalyptique, mais il est incontestable qu’il y a ici un décalage — de même qu’il y a un décalage dans l’utilisation des armes, car on possède des armes qui sont très puissantes, mais on a encore dans le même temps une morale quasi animale : on sait ce que l’on fait lorsqu’on frappe quelqu’un à coups de poings, mais on ne mesure pas les conséquences de son acte si l’on appuie sur un bouton et que l’on tue d’un seul coup des milliers de personnes.     Ainsi la condition contemporaine et urbaine de l’homme le place psychiquement et physiquement dans un décalage par rapport à la rapidité de ses moyens techniques et notamment de ces connexions. Le sociologue Norbert Elias développe l’idée que le temps est une invention sociale due au besoin de coordonner les actions : plus les opérations humaines sont diverses, plus il faut les coordonner, les synchroniser, plus il faut de temps et plus le temps devient important. En Afrique, par exemple, où il y a peu de connexions, on peut faire l’expérience presque physique que le temps passe tout autrement. Nous souffrons aujourd’hui d’une sorte de présentisme, de nervosité, on est réduit à un présent très nerveux, on n’a pas le temps de reprendre son souffle, de reprendre appui sur un passé plus lointain, sur un rapport au temps plus ample.

3 – Métaphysique du temps

Tournons-nous maintenant vers le temps pour tenter de le penser, simplement. Essayons de brosser une petite philosophie du temps. D’où vient le temps ? Nous pouvons risquer un début d’hypothèse générale : c’est qu’il y a du temps parce que nous ne rendons pas exactement ni immédiatement ce que nous recevons. Les corps physiques élémentaires restituent assez exactement, mais ils restituent d’ailleurs avec une perte, une déperdition, c’est l’entropie évoquée plus haut. En ce qui nous concerne ce n’est pas simplement que nous rendons parfois davantage, c’est que nous rendons un peu autrement, nous différons notre réponse. Marcel Mauss, le grand anthropologue, a fait toute une analyse du don.

Nous voudrions ici avancer que nous recevons le temps comme un don, un présent, oui, un cadeau ; mais comme pour tout cadeau nous ne rendons pas tout de suite exactement la même chose, nous rendons plus tard et nous rendons autre chose, il y a un différé. Le contre don est différé et ce petit processus qu’on pourrait qualifier d’humain correspond à quelque chose qui date déjà sans doute des débuts de l’évolution du vivant. Il y a un petit écart entre ce que nous recevons et ce que nous donnons et c’est dans cet écart que se loge le temps, le temps créateur d’une différence, créateur d’une information, d’un changement de registre. Si les particules élémentaires restituent de manière très élémentaire ce qu’ils ont reçu, plus on monte dans l’échelle du vivant plus le rendu est complexe, différé, complexifié et inattendu. Il y a donc une sorte d’évolution, nous sommes des appareils à différer le temps et le cerveau est là pour analyser le phénomène, répéter et différer, répéter en différant, répéter en installant de petites différenciations et c’est pour cela que le cerveau est fonction de synchronisations de plus en plus complexes. Ceci est un point très important parce que cette petite faculté que nous avons de différer, suppose la faculté de percevoir en nous-même la différence entre deux points de vue : le point de vue de celui que je suis quand je reçois et de celui que je suis quand je donne. Cela veut dire aussi que je peux me percevoir moi-même comme un autre, je peux me représenter l’absent. Le temps c’est la faculté de l’absence, de la représentation et probablement le temps n’existe que parce que nous pouvons nous représenter l’absent. Mais cela veut dire aussi que nous pouvons nous représenter l’autre, le point de vue de l’autre et il n’y a de temps que parce qu’il y a plusieurs points de vue sur le temps, le temps fait en moi de la place pour le point de vue de l’autre et l’autre fait en moi de la place pour le temps. S’il n’y avait pas d’autre, si j’étais tout seul, je n’aurais pas de temps tel que nous le connaissons, du reste nous ne savons pas ce qu’est le temps entièrement solitaire, purement solitaire, c’est une limite métaphysique.

Il me semble aussi important d’ajouter à cela qu’il y a du même coup dans notre rapport au temps quelque chose qui doit être pensé comme une sorte de gratitude. Il faut rendre grâce pour le temps qui nous est donné, et pour cela on le diffère, on varie les plaisirs, on en varie les usages, et l’on a besoin des autres parce qu’on est parmi d’autres qui eux aussi à leur tour interprètent autrement le temps et en font quelque chose d’autre que nous. Mais comme déjà évoqué, si je diffère cela veut dire que j’augmente ma surface temporelle, ma capacité à tenir plusieurs points de vue ; je peux recevoir davantage d’informations et en donner davantage, je peux recevoir de plus en plus et donner de plus en plus. J’augmente ma temporalité et ma capacité temporelle en augmentant ma capacité à avoir un passé et un futur, un reçu et un donné, j’augmente la largeur de ma présence au monde. Or justement il y a une limite à l’augmentation, une limite au nombre de connexions, une limite à ma volonté de jouer tous les jeux, à tout recevoir, à tout comprendre, à tout sentir, à tout goûter et en même temps à agir sur tout, à parler de tous les sujets — et c’est ce qui me conduit à ce que je vais appeler l’éthique du temps.

4 – Ethique du temps

La brève éthique que je vais déployer ici me semble pouvoir se décomposer en trois grandes figures. Il y a un temps pour commencer ; un temps pour maintenir, tenir et persévérer ; et un temps pour finir, pour achever. Et ce sont trois rapports au temps différents mais qu’il faut penser justement ensemble pour penser leur différenciation. Le temps pour commencer je voudrais le rapporter à la promesse, le temps pour maintenir au besoin que nous avons de raconter, le temps pour finir au pardon et à l’oubli.

Nous sommes dans un présent très étroit qui n’ose plus avoir un horizon d’attente, nous n’attendons plus rien, nous vivons de plus en plus au jour le jour ; une des grandes fonctions de la promesse est qu’elle sert à élargir ce présent. C’est la vertu de toute action, de toute initiative, que de lancer une promesse. Oser se lancer des promesses, en lancer aux autres, redonne un horizon temporel plus ample, un présent plus ample. De même qu’un malheur ressenti aujourd’hui peut rouvrir des malheurs passés, que je croyais effacés, guéris, cicatrisés, une promesse de bonheur, un bonheur présent vont rouvrir des promesses de bonheurs passés que j’avais oubliés, que je croyais définitivement perdues, manquées. Le rôle de la promesse qui est celui d’oser penser le bon, le bonheur, le désir du bon, est une notion très importante dans le rapport au temps, mais également dangereuse car on risque la déception, le malheur, il faut bien savoir que la promesse est quelque chose de merveilleux, mais il faut la manier avec précaution. Une société dans laquelle on ne ferait pas de promesses, dans laquelle on ne formulerait aucun souhait, serait une société très malheureuse parce qu’en voulant se protéger sans cesse du malheur elle se priverait d’une visée de promesse, d’un rapport au bonheur. Mais de la même façon une société qui ferait des vœux qu’elle ne tiendrait pas, lancerait de tout côté des initiatives qu’elle ne suivrait pas, comme on achète toutes sortes de bonnes choses dont on ne fait rien, finirait par être ensevelies sous le poids de ses promesses retombées.

Deuxième figure éthique du temps, celui de la maintenance, du tenir bon. On est né dans un certain corps, dans une certaine ville, dans une certaine société, dans une certaine culture, dans une certaine époque, on est présent au milieu de l’histoire, on n’est pas à la fin de l’histoire, il faut faire avec. On n’est pas comme pour certains croyants plus ou moins déjà au royaume de Dieu, au jugement dernier, on ne peut pas non plus tout recommencer, on est là et en attendant la fin des temps il faut trouver un modus vivendi dans le conflit des temporalités. Intervient ici le rôle de l’histoire qui suppose à la fois qu’il faut persévérer dans notre engagement dans le temps, mais aussi qu’il existe d’autres points de vue dont il faut tenir compte. Certes chacun a son point de vue, sa propre histoire, on tente d’en faire quelque chose, et comme le dit Ricœur « nous survenons en quelque sorte au beau milieu d’une conversation qui est déjà commencée et dans laquelle nous essayons de nous orienter afin de pouvoir à notre tour y apporter notre contribution ». Or la faculté qui nous permet de tisser cette dimension active et passive de nos vies, continuées et entrelacées avec d’autres, c’est justement cette faculté de narration, le temps de raconter. C’est d’une certaine manière la seule chose qui puisse répondre à la question d’Augustin : « je ne sais pas ce qu’est le temps », et philosophiquement le temps est un échec, on ne peut penser ni franchir le temps, mais ce que l’on peut faire c’est le raconter, c’est jouer au temps sur des modes narratifs divers qui sont autant de manière de persévérer, de tenir en intrigues, de se maintenir. Ainsi le temps humain n’est pas un temps purement chronologique, c’est un temps narratif, c’est un temps qui se raconte, et c’est ce qui lui donne sa qualité humaine.

Nous terminons avec une dernière figure éthique du temps, celle du pardon. Quand le malheur passé ne passe pas, et dans la mesure où même les promesses de bonheur non accomplies deviennent des malheurs, il faut pouvoir se délivrer du malheur présent, du malheur perdu, mais aussi du bonheur perdu, et cette faculté de se délier de ce qui est irréversible et irréparable relève de l’oubli, ou plutôt de cette manière de se souvenir et de dire telle que l’oubli devient possible : le pardon. Le pardon c’est d’abord renoncer au rêve de toute puissance magique qui voudrait abolir le passé : on ne peut changer le passé, revenir en arrière, le temps ne peut être changé. Ou bien encore le pardon c’est renoncer au rêve qui voudrait faire en sorte que tout le monde ait les mêmes souvenirs, la même mémoire, soit dans le même temps : c’est impossible, il y a obligatoirement un décalage, un conflit des mémoires. On a vu comment, avec le temps, tout s’efface. En face de cette terrible « simplification » se développe un procès de « complexification » qui n’est peut–être pas moins terrible. La croissance des échanges, et même des dettes, est une des formes de cette complexification, qui exclut tout ce qui n’est pas capable d’y entrer. Le pardon serait alors, à l’échelle de nos formes de vie, cette conduite surprenante qui garde une mémoire vivante de faits inutiles ou encombrants, et puise dans l’immémorial des générations de quoi attester ce qui résiste à l’entropie, à l’universelle indifférence. Mais il serait cette même conduite qui, en dilapidant la dette, se refuse à anticiper l’événement, le surgissement présent ; par là il s’oppose, avec l’énergie du désespoir, à l’augmentation infernale, à la complexification infinie des échanges.

J’espère que ces quelques notions philosophiques sur le concept du temps pourront vous aider dans l’accompagnement de vos élèves constamment confrontés au problème du temps, et dont l’expérience du temps devrait certainement nous donner tous à penser.

Bibliographie

  • Saint Augustin, Les confessions, livre XI
  • G.Bachelard, La dialectique de la durée.
  • P.Ricoeur, Temps et Récit (3 vol).
  • O.Abel, La conversation.

Olivier Abel

Publié dans Actes des Journées Pédagogiques
du Groupement des professeurs et éducateurs d’enfants aveugles
,
Groupement des Intellectuels Aveugles ou Amblyopes-GIAA, 2008.